Les greffiers en souffran

Les greffiers en souffrance : « On arrive parfois la boule au ventre »

Chose rare, depuis quelques mois, les greffiers manifestent et font grève. Ils sont à bout. Deux greffières niçoises, qui souhaitent rester anonymes et dont les prénoms ont été changés, expliquent pourquoi.

« Depuis plusieurs années que je suis dans la justice, nos conditions de travail n’ont cessé de se dégrader. J’ai des amis greffiers dans toute la France et le discours est toujours le même : un manque d’effectifs. Dans les services pénaux, on a peur de faire une erreur et on arrive parfois la boule au ventre. C’est devenu stressant ». Julia, greffière expérimentée, s’exprime posément mais sa lassitude est perceptible.
À Nice comme ailleurs, les greffiers sont sortis de leur habituelle réserve ces derniers mois car ils s’estiment victimes d’une injustice. Un comble pour une profession indispensable au fonctionnement de la justice.
En cause : un manque de reconnaissance, un manque de moyens matériels et une nouvelle grille salariale jugée nettement insuffisante.
La goutte d’eau a été l’annonce il y a un an par le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, d’une augmentation de 1 000 euros bruts par mois en moyenne des primes pour les juges judiciaires. « Augmenter les magistrats de 1000 euros bruts et faire comme si nous n’existions pas alors que nous sommes un binôme -le magistrat n’est rien sans le greffier et le greffier n’est rien sans le magistrat- pour moi, c’était une insulte à la profession », assène de son côté Sandra. «  Nous les greffiers nous nous sommes beaucoup tus. On n’a jamais fait de vagues. Là, il y a quand même un dossier aux Assises qui a été renvoyé et beaucoup de dossiers qui ont été renvoyés, c’est qu’il y a un ras-le-bol ». Sans oublier le problème des horaires. « Les greffiers d’audience correctionnelle finissent souvent très tard. À Nice il y a eu des audiences tardives, jusqu’à 3h00 du matin. Comment peut-on rendre la justice quand l’audience se termine aussi tard ? », s’interroge Julia. Pour elle, le problème vient aussi d’un problème d’image. « Le métier de greffier est surtout méconnu, ce qui nous porte aujourd’hui préjudice. On nous dit souvent : ‘Ah c’est toi qui es à l’audience et qui écris’. Ça, c’est vraiment ce que l’on voit de l’iceberg mais il n’y a pas que ce que l’on fait à l’audience. Il y a tout un travail en amont et après l’audience, avec la gestion des dossiers. Forcément, cela implique une bonne connaissance, que ce soit en procédure civile ou pénale. Nous sommes les garants de la procédure  ».

« On prépare tout »

«  Notre note d’audience va faire foi, pour un maintien en détention par exemple », appuie Sandra. « Et on prépare tout : le mandat de dépôt, les diverses inscriptions sur les logiciels, dont le Fijais qui concerne les délinquants sexuels et on veille à ce que certains documents comme la notice individuelle soient bien remis à la maison d’arrêt en cas d’incarcération ».

Les greffiers ont de lourdes responsabilités et ils considèrent que leur salaire n’est pas adéquation avec ces responsabilités. Un greffier en début de carrière gagne un peu plus de 1 500 euros nets par mois et après 10 ans de carrière, il touchera autour des 2 000 euros. «  Il y a aussi un manque criant de moyens  », regrette Julia. «  On a des locaux inadaptés : on est trop nombreux dans les bureaux, il manque des salles d’audience, il y a des coupures internet… Des réformes prises au niveau national sont parfois inadaptées sur le terrain. On nous parle de dématérialisation mais nos outils informatiques sont inadaptés, avec un logiciel très ancien, on n’a pas tous deux écrans et on n’a pas forcément eu de formation. Cela a pu complètement désorganiser certains services de greffe, aussi bien au civil qu’au pénal ». « Il faut bidouiller », se désole Sandra. « J’ai des collègues qui sont en souffrance. Tout le monde commence un peu à craquer. On ne fait pas les choses assez bien, on est toujours dans le « speed  », ajoute la greffière, très remontée. « On est tout le temps dans l’urgence  », renchérit Julia. «  On aime notre métier, on aime ce que l’on fait mais de plus en plus de gens sont écœurés et se demandent ce qu’ils pourraient faire d’autre. Des collègues ont démissionné ou se sont mis en disponibilité  », poursuit-elle. Est-ce qu’elles envisagent de partir si les conditions ne s’améliorent pas, notamment si les négociations de leurs représentants syndicaux jusqu’à fin octobre n’aboutissent pas ? « On se demande si on va rester dans la justice  », reconnaît Julia. « Sans revalorisation je changerai  », tranche Sandra.

Visuel de Une (détail) ©Claire Chauris

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