Bourses : retour au (...)

Bourses : retour au réel ?

Les marchés financiers ont affiché un optimisme sans faille depuis le début 2009, supposé marquer le printemps de la reprise. Ils se montrent maintenant dubitatifs à la suite d’une interprétation erronée de statistiques chinoises. Mais les développements au Proche-Orient justifient largement les inquiétudes des Bourses mondiales.

Les marchés financiers deviennent nerveux. On n’en attendait pas moins de leur part, en s’étonnant même que le stress ne se soit pas manifesté plus tôt. Car entre nous, il semble bien que les désordres du monde soient plutôt générateurs d’inquiétude que d’enthousiasme. Mais peut-être les opérateurs boursiers étaient-ils retournés aux adages fondamentaux, parmi lesquels celui qui recommande d’acheter au son du canon. Encore que le début de la déprime ait été occasionné par une information exclusivement économique : le solde de la balance commerciale chinoise en ce début d’année. On se souvient que les excédents chinois étaient, voilà peu de temps encore, considérés comme une plaie par la « communauté internationale ». Enjoignant Pékin de prendre toutes sortes de mesures appropriées pour en réduire le montant : réévaluation du yuan, augmentation du pouvoir d’achat local, accroissement des importations. En dépit de la distance prudente qu’affiche la Chine à l’égard des recommandations, plus ou moins pressantes, qui lui sont adressées, son gouvernement n’est pas resté les deux pieds dans le même sabot. La monnaie nationale continue de s’apprécier ; à un rythme modéré, certes, mais l’Empire du Milieu n’est pas vraiment adepte de la précipitation. Le revenu des populations ne cesse de s’améliorer : les salaires enregistrent de vigoureux coups de pouce, en dépit des pressions inflationnistes que le pouvoir s’est engagé à contenir. Et le Plan quinquennal prévoir expressément de promouvoir l’amélioration du niveau de vie des citoyens : du reste, les ventes au détail ont déjà augmenté de 15,8% (en base annuelle) sur les deux premiers mois de l’année. Spectaculaire. Ainsi, jusqu’à maintenant, la politique chinoise est strictement conforme aux vœux de ses partenaires et concurrents. Qu’en est-il de la balance commerciale ?

Les foyers de stress

La première réaction, à la publication des statistiques chinoises, a été l’effarement pavlovien des marchés : si Pékin affichait une balance déficitaire, au lieu de ses énormes excédents ordinaires, c’est que le commerce mondial s’était à ce point contracté que la Chine ne parvenait plus à inonder la planète de ses produits. Et en conséquence que la croissance espérée risquait de s’évanouir. C’était là une lecture un peu rapide des chiffres : sur les deux premiers mois de l’année, le commerce extérieur de la Chine a atteint près de 500 milliards de dollars, en hausse de plus de 28% sur la période correspondante de 2010. Alors pourquoi ce déficit (7,3 milliards de dollars) de la balance en février, après une forte contraction de l’excédent en janvier ? Il y a, certes, l’impact du Nouvel an, qui paralyse une bonne partie de la production. Mais surtout, les importations de la période ont effectué un bond en avant spectaculaire (presque 20% le mois dernier). La communauté internationale devrait donc se réjouir de voir satisfaite l’une de ses principales revendications : que la Chine consacre ses excédents à commercer avec ses partenaires. Tel est le scénario qui devrait se poursuivre : le ministre concerné a d’ores et déjà prévenu que la balance serait encore déficitaire sur les prochains mois, précisément par accroissement des importations. On peut interpréter cette stratégie comme la volonté chinoise de contribuer au rééquilibrage de l’économie mondiale, en jouant le rôle de locomotive longtemps dévolu aux Etats-Unis. C’est une sage politique que de maintenir ses principaux clients la tête au-dessus de l’eau. Tout en offrant à son marché matière à satisfaire sa soif de consommation. Le deuxième volet est sans doute un peu moins encourageant. Cette soudaine frénésie d’achat à l’étranger peut témoigner d’un objectif défensif : se défausser du maximum de dollars accumulés, dans l’expectative d’un hard landing du billet vert. Il serait intéressant pour cela de connaître l’évolution de la balance des paiements chinoise, qui intègre les investissements off shore : il est notoire que le pays investit en masse à l’étranger, et pas seulement dans les ressources naturelles…

La précarité du statut du dollar et les doutes profonds sur sa valeur de change ne datent pas d’hier. En dépit de la communication illusionniste des Américains et des Anglais, personne ne croit un seul instant au caractère durable de l’imperium de l’Oncle Sam et de la dictature de sa monnaie. Mais faute de solution de rechange crédible, chacun est bien obligé de faire avec, dans l’attente de l’événement qui précipitera la chute. En ce moment, les catalyseurs ne manquent pas : les désordres en Méditerranée et au Proche-Orient menacent maintenant de gagner l’Arabie saoudite. C’est-à-dire la première source de pétrole à laquelle s’abreuve l’Amérique. Les relations des USA et du royaume saoudite sont à tout le moins « complexes » ; entendons par là que le lien de vassalité repose sur des questions exclusives d’intérêts. On cherchera en vain un quelconque affectio societatis… Sachant que dans son propre pays, la Maison-Blanche est confrontée à une situation quasi-insurrectionnelle avec quelques Etats, comme le Wisconsin, pourtant peuplé de citoyens américains qui partagent autre chose que des intérêts épiciers avec l’Etat fédéral, on peut émettre des doutes sérieux quant à la pérennité de l’autorité US sur les lointaines monarchies pétrolières. Qui se sont longtemps montrées respectueuses et loyales à l’égard de l’Oncle Sam, à cause de sa puissance. Mais qui l’ont toujours cordialement détesté.

Par Jean-Jacques JUGIE

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