Fiscalité : sus à l'ISF

Fiscalité : sus à l’ISF

C’est parti pour une nouvelle réforme fiscale. Qui fasse rendre gorge au bouclier, indéfendable en la forme, et qui modernise l’ISF au nom de la compétitivité fiscale. Avec un résultat « neutre » pour les gros contribuables. A en juger aux premières ébauches, la solution de la quadrature du cercle passe pour un problème de maternelle…

Voilà pas mal de temps que le Gouvernement tourne autour du pot, becquetant par-ci, recrachant par-là. Il s’agit du pot de l’imposition, bien sûr. Et tout particulièrement celle qui concerne les classes aisées, tant par les revenus perçus que par le patrimoine accumulé. Pour délimiter le périmètre des hauts revenus, un sondage a même été réalisé auprès des Français. Lesquels fixent en majorité le seuil de l’opulence à 10 000 euros mensuels. Le double de celui qu’évoqua en son temps un dirigeant socialiste, lui-même bien mieux pourvu par la République. Laissant ainsi supposer que cette dernière est trop généreuse avec les élus, ce qui, finalement, n’est pas impossible. Un député de la majorité estime au contraire que le seuil de l’aisance commence avec un revenu mensuel de 41 000 euros par ménage, ce qui range la plupart de ses concitoyens dans la catégorie des « pouilleux ». Comme on peut le constater, s’agissant de définir les « riches », le consensus sera difficile à établir. D’autant plus que dans un article récent, Le Nouvel Observateur avait cru lever un lièvre en épinglant l’un des dispositifs de défiscalisation les plus performants pour les hauts revenus : le « Girardin industriel ». Que connaissent tous ceux qui ont à connaître les niches fiscales. S’il ne fait pas de doute que cette mesure offre un potentiel remarquable d’allègement d’impôt, il serait raisonnable de préciser que les investissements concernés présentent un risque avéré pour les participants. Ce pourquoi le législateur a accordé une incitation forte. Bon nombre de dossiers « Girardin » se terminent en eau de boudin, faisant perdre aux contribuables plus d’argent qu’ils n’ont économisé d’impôt, et n’enrichissant que les promoteurs… pas toujours sincères dans leurs prévisions. Le drame, dans de tels cas, c’est que ni l’Etat ni le citoyen n’en tirent avantage ; c’est un échec collectif.

Dans une moindre mesure, bon nombre de « niches » sont suspectes de satisfaire médiocrement, voire pas du tout, les ambitions publiques poursuivies. Ce n’est donc pas sans arguments légitimes que nombreux sont ceux qui préconisent la suppression pure et simple de toutes les niches. Et le recours à la pratique de la subvention directe, plus transparente sur le plan politique, et sévèrement encadrée par les vigies communautaires de la concurrence. Nul ne doute que le système fiscal français soit une véritable pétaudière. Et tout le monde, ou presque, juge inévitable sa profonde réforme. Mais un tel chantier se heurte à deux obstacles majeurs. L’écueil technique, d’abord : une refonte du système s’apparente à une révolution ; elle est donc soumise à quantité d’aléas. En période de grande difficulté des finances publiques, c’est un pari difficile à tenir. L’écueil politique, ensuite : toute réforme engendre nécessairement des mécontents. Alors une révolution…

En quête de compétitivité

Depuis plusieurs mois, Bercy suit la feuille de route imposée par le ministre du Budget : concevoir un « impôt plus intelligent, plus juste, plus en phase avec les réalités économiques ». Ce qui revient à affirmer que l’impôt actuel est stupide, inique et anachronique. Mais la grande toilette fiscale n’est pas pour autant programmée. L’esprit des réformes envisagées est nettement esquissé par le Premier ministre : « la France souffre depuis longtemps d’un taux de prélèvements obligatoires élevé, supérieur à la moyenne européenne et supérieur en particulier à l’Allemagne ». Bon, les ponctions sont globalement trop élevées, ce qui est fâcheux pour nos comptes publics très déséquilibrés. Il faudrait ainsi moins de « prélèvements obligatoires », mais davantage d’impôts pour faire la soudure. Un exercice complexe, mais pas insurmontable. Le Gouvernement s’expose cependant, une fois de plus, au risque d’être taxé de double langage. La disparition prochaine du sulfureux bouclier fiscal s’accompagnerait du dynamitage de l’ISF, jugé obsolète (avec de bonnes raisons). Le véritable objectif, c’est la « compétitivité » fiscale de la France face aux pays concurrents. Ou à tout le moins la perception que les autres se font de notre compétitivité.
Alors que les niches fiscales autorisent une taxation bienveillante des très gros contribuables, l’ISF fait peur et favorise le nomadisme. Alors que d’autres niches sont généreusement ouvertes aux grandes entreprises, notre taux d’IS affiche un nominal plus élevé que bien des Etats. Autant, dans ces conditions, afficher un « prix d’appel » conforme à la pratique. En matière de patrimoine, l’une des esquisses actuelles prévoit de remonter le seuil de taxation à l’ISF (à 1,3 millions d’euros) et de supprimer tout impôt proportionnel (contre un maximum de 1,8% aujourd’hui). Ainsi, le patrimoine acquis serait globalement préservé. La novation : taxer l’accroissement du patrimoine durant chaque exercice fiscal. Ce qui reviendrait à imposer les plus-values latentes au taux des plus-values effectivement réalisées. Prenons l’exemple d’un patrimoine de 20 millions d’euros, ayant progressé de 10% en 2010. Sur la base du barème actuel (sans niches et sans bouclier…), le contribuable doit un impôt de 282 265 euros. Avec ce nouveau dispositif, il devrait exactement… 569 091 euros. Pour démontrer la « compétitivité » de la réforme, il faudra sans doute échafauder une nouvelle usine à gaz. Pour peu que l’on veuille, conformément à l’affirmation officielle, la rendre « neutre » pour les gros contribuables. Bon courage, Bercy…

Par
Jean-Jacques JUGIE

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