L'obligation de sécurité

L’obligation de sécurité de l’employeur en matière de harcèlement moral : une obligation positive

À propos d’un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation du 27 novembre 2019 (n° 18-10.551).

Par Maître Cécile ZAKINE, Avocat au barreau de Grasse, Docteur en droit, Chargée d’Enseignement, Membre du réseau d’affaires Business Network International - BNI 15 avenue Robert Soleau 06600 ANTIBES, Mobile : 06.21.69.91.77 [email protected]

Prévention des risques professionnels, hygiène et sécurité, santé mentale des salariés, la Cour de cassation revient de manière constante sur l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur en matière de harcèlement moral.
En adoptant des agissements, au départ mineurs mais qui deviennent avec le temps réguliers et caractéristiques du harcèlement moral, c’est la dignité de la personne victime du harcèlement, qui fait l’objet d’une atteinte.

Risque invisible et insidieux qu’il convient de combattre à sa source

Les agissements constitutifs de harcèlement moral continuent d’être un facteur de souffrances, de stress, de burn-out ; risques professionnels invisibles, tant le mal-être qui en découle s’avère souvent indicible. Selon l’Organisation Internationale du Travail, chaque année, 160 millions de nouvelles maladies trouveraient leur source dans le travail et plus d’un million de décès seraient liés directement à l’environnement professionnel.

Pour lutter contre les agissements de harcèlement moral, la Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 a doublement intégré cette infraction à l’article L.1152-1 du Code du travail et à l’article 222-33-2 du Code pénal.

De surcroît, l’article L.4121-1 du Code de travail impose à l’employeur de prendre "les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs".
Cette obligation, fondée sur la philosophie de la prévention, découle de l’article 2 de la Directive-cadre 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.

Cette responsabilité n’est autre que la résultante de l’obligation de sécurité pesant sur le chef d’entreprise, découlant des arrêts "amiante" en date du 28 février 2002 (Cass. Soc. 28 février 2002, n°99-18.389) et qui, lorsqu’un manquement est à déplorer, entraîne la mise en œuvre d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur dès lors que celui-ci "avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver".
L’obligation de sécurité de résultat ne sert donc pas seulement à réparer intégralement les préjudices, mais impose "une approche plus dynamique et préventive tendant à assurer l’effectivité d’un droit fondamental des travailleurs à la sécurité et à la santé sur les lieux de travail" (1).

De la protection de la santé mentale des salariés

Si au départ, il était davantage question de l’obligation pour l’employeur de garantir la santé physique de ses salariés, l’obligation de sécurité s’est étendue à la santé mentale.
Par une décision en date du 21 juin 2006 (n° 05-43.914), la Chambre sociale de la Cour de cassation est venue préciser que l’employeur était tenu d’une obligation de sécurité de résultat concernant la prévention du harcèlement moral.
Par la suite, la Cour de cassation durcira davantage sa position en considérant, dans deux arrêts du 3 février 2010 (n° 08-40.144 et n° 08-44.019P), que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail de violences physiques ou
morales ou de harcèlement, exercées par l’un ou l’autre de ses salariés, alors même qu’il aurait pris des mesures nécessaires destinées à faire cesser ces agissements.

A contrario, la Haute Cour ne sanctionnera pas un employeur pour manquement à son obligation de sécurité dans le cadre d’un harcèlement dès lors qu’il pourra justifier avoir pris toutes les mesures nécessaires à faire cesser le harcèlement d’une part, et qu’il aura mis en œuvre un système de prévention en amont pour lutter contre toute dégradation des conditions de travail, d’autre part (Cass. Soc., 25 novembre 2015, arrêt "Air France", n° 14-24444 ; Cass. Soc.,1er juin 2016, n° 14-19.702).

Cependant, par son arrêt rendu le 27 novembre 2019, la Cour de cassation a de nouveau démontré sa sévérité en la matière. En l’espèce, Mme C... est engagée depuis le 1er décembre 2010 par une société. La salariée indique alors à son employeur que ses problèmes de santé, à l’origine de son arrêt maladie, sont liés à la dégradation de ses conditions de travail. Cette dernière se plaint du harcèlement moral exercé sur elle par sa supérieure hiérarchique. Licenciée pour insuffisance professionnelle, elle saisit le Conseil de Prud’hommes aux fins de voir déclarer nul le licenciement pour harcèlement moral. C’est sur le fondement de l’obligation de loyauté et de sécurité qu’elle sollicite alors l’allocation d’une indemnité notamment pour harcèlement moral.
Les Juges du fond déboutent Mme C… de sa demande de dommages et intérêts fondés pour harcèlement moral, laquelle se pourvoit en cassation en indiquant que l’employeur aurait dû diligenter une enquête destinée à mettre en lumière l’existence de faits de harcèlement. La Cour de cassation casse cette décision en ce qu’aucune indemnité n’a été allouée à la salariée, alors même que l’employeur n’avait pris aucune mesure propre à assurer la sécurité mentale de celle-ci.
Il a ainsi été reproché aux Juges du fond d’avoir violé l’article L. 4121-1 du Code du travail.
En effet, dès lors que Mme C… s’était plainte d’agissements constitutifs de harcèlement moral, l’employeur, qui avait alors conscience des difficultés relationnelles entre elle et sa supérieure hiérarchique, aurait dû vérifier l’existence ou l’absence d’un harcèlement en mettant en œuvre une enquête.

C’est sur le terrain de la prévention du risque de harcèlement plutôt que sur celui de la preuve des faits de harcèlement que la Haute Cour va se placer.
Dans un contexte où la question du harcèlement moral et des risques psycho-sociaux fait l’objet d’importantes réflexions compte tenu de l’augmentation de ce type de contentieux, la Cour de cassation a encore une fois démontré que, par son appréciation très sévère du comportement de l’employeur, elle tente de rendre effective cette obligation de prévention pesant sur celui qui détient le pouvoir de direction.

RÉFÉRENCES

1- Cour de cassation, Rapport 2005, L’innovation technologique, 539 pages, p. 247, disponible sur www.courdecassation.fr/IMG/pdf/cour...;?.

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