Sûretés judiciaires : (...)

Sûretés judiciaires : l’arme méconnue des créanciers

De minimis non curat praetor !*
Certes, le magistrat ne s’occupe pas des petites choses.
Et pourtant qu’est-ce qu’une petite créance ? Tout dépend du créancier et du nombre potentiel de ses créances ! Un créancier professionnel ne peut pas tolérer des milliers de petites créances qui, in fine, constituent une masse pénalisante. Un créancier particulier peut particulièrement souffrir d’une créance de quelques centaines d’euros.

Par Maître Alexandre-Guillaume TOLLINCHI, Avocat à la Cour – Docteur en Droit, Avocat associé de la TOLLINCHI’S LAW FIRM (Barreau de Nice), Mandataire en transactions immobilières, Enseignant à la Faculté de Droit de Nice

Le Code de procédure civile lui-même prévoit un assortiment d’actions possibles, de la simple injonction de payer à l’action au fond, pouvant elle-même connaître une demande de provision durant la mise en état.

Mais s’il est une inquiétude grandissante dans l’esprit des créanciers, c’est bien, après avoir fait les frais d’une procédure de recouvrement à l’amiable, de faire diligenter une procédure contentieuse... pour rien, autrement dit en perdant des plumes en passant par le poulailler de la Justice (avocats, huissiers, experts judiciaires). Les avocats, pour ce qui les concerne, ne
"plument" pas leurs Clients ; il est bien légitime qu’ils soient rémunérés et qu’ils le soient à la hauteur de leurs compétences et de l’engagement de leur responsabilité ! Dès lors, afin de mieux digérer le coût procédural, les clients institutionnels négocient un forfait avec leurs avocats, lesquels sont rémunérés sur la masse. Les particuliers n’ont, généralement, pas le choix et doivent trop souvent abandonner leurs petites créances, faute de moyens, faute de conseils, faute de résistance à la lassitude.

Il existe plusieurs catégories de mauvais payeurs : les débiteurs surendettés de bonne foi, les débiteurs de bonne foi dans une mauvaise passe, les débiteurs chroniques de mauvaise foi, et les débiteurs malhonnêtes.
Il n’est pas possible pour un créancier de réagir de manière uniforme, automatique, systématique. Le créancier doit s’adapter à la personnalité de son débiteur et anticiper d’éventuelles difficultés.
S’il paraît parfois hasardeux de diligenter une procédure contentieuse de recouvrement à l’encontre d’un débiteur notoirement surendetté, et s’il paraît préférable de négocier un échéancier avec les débiteurs de bonne foi, ce que font très bien les huissiers de Justice, le recours à la procédure contentieuse peut se justifier dans le cas des débiteurs chroniques de mauvaise foi et dans le cas des débiteurs malhonnêtes.

Deux situations sont alors envisageables : d’un côté, les débiteurs sans patrimoine, de l’autre, ceux qui disposent d’un patrimoine mobilier (actions de société, biens à valeur certaine, etc.) ou immobilier. Les premiers n’ont rien à perdre ; les seconds sont susceptibles de chercher à organiser leur insolvabilité dès l’introduction de la procédure judiciaire, voire avant.

Le créancier n’a d’autre choix que d’être stratège, efficace et rapide.

Avant d’initier une procédure contentieuse, il peut être utile de solliciter une sûreté judiciaire conservatoire, autrement dit une garantie de pouvoir être payé si l’action judiciaire au fond prospère, ce qui peut prendre plusieurs mois voire années. Cette procédure n’est pas contradictoire. Le débiteur n’en sera informé qu’une fois la sûreté accordée et inscrite, ce pour éviter l’organisation d’insolvabilité. Il disposera de la possibilité d’exercer un recours, mais a posteriori.

L’effet de surprise et la rapidité de cette procédure contribuent à sauvegarder les intérêts du créancier.

Plusieurs sûretés existent et peuvent grever – rendre indisponible – un bien meuble (saisie conservatoire), un bien immeuble (hypothèque), un fonds de commerce ou des parts sociales (nantissement).

Toutefois, en l’absence de titre exécutoire et de créance certaine, le créancier souhaitant obtenir une sûreté judiciaire doit être en capacité de caractériser l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe (rapport d’expertise judiciaire favorable, éléments probatoires divers établissant une apparence) et justifier d’un risque menaçant le recouvrement (mauvaise foi du débiteur, silence persistant, menaces d’organisation d’insolvabilité, etc.).
La matière étant technique, le recours aux services d’un avocat est fortement conseillé, d’autant qu’il pourra par suite défendre la position du créancier devant le juge de l’exécution si le débiteur conteste l’inscription de la sûreté judiciaire et cherche à en obtenir la mainlevée.
Pour conclure, si les créanciers ne doivent pas faire un usage abusif des sûretés judiciaires conservatoires, ils ne doivent ni les ignorer ni en sous-estimer la force, y compris sous l’angle d’un facteur susceptible de faciliter – de manière pressante, certes – la négociation à l’amiable.

*De minimis non curat praetor : Le préteur ne s’occupe pas des petites affaires.

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