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Variations lexicales et grammaticales autour de la réforme du droit des obligations

La réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a déjà un an. S’emparant de l’ordonnance du 10 février 2016, le marché de la formation professionnelle a généré d’innombrables commentaires, publications, conférences, colloques…
Après le temps de l’analyse juridique vient le temps de l’analyse lexicale et grammaticale.

Par Philippe KAIGL Maître de conférences, Université Côte d’Azur, Faculté de droit et science politique de Nice, membre du CERDP, France, avocat au Barreau de Grasse

Voulant probablement rendre hommage à l’audace terminologique de l’ancien article 1167 du Code Civil qui autorisait les créanciers à attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits, l’ordonnance a conservé l’emploi du verbe fort attaquer au nouvel article 1304-5 pour formuler la même règle.

Mais la modernisation des règles s’est surtout accompagnée d’un rajeunissement du vocabulaire. Reprenant à son compte la loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes bannissant le bon père de famille du langage juridique, la réforme cite à deux reprises la personne raisonnable (art. 1197 et art. 1301-1). Le même souci d’actualisation a remplacé le sous seing privé par l’écrit ou l’acte sous signature privée (art. 1359, 1370, 1372, 1375, 1376, 1377).
Il y a aussi place à la technologie dans le nouveau droit des contrats qui traite désormais des contrats conclus par voie électronique (art. 1125 à 1127-6 ; art. 1174).

Moins heureuse dans ses choix lexicaux, la réforme a substitué aux contrats nommés les contrats ayant une dénomination propre (art. 1105). Pourquoi remplacer par quatre mots un qualificatif aussi explicite qu’éprouvé ?

La modernisation du vocabulaire a fait une victime collatérale : du fait de l’éviction de la cause parmi les conditions de validité des contrats, l’enrichissement sans cause est devenu l’enrichissement injustifié (art. 1300, 1301-5, 1303, 1303-1).

De même, la caducité depuis longtemps consacrée par la procédure (citée 25 fois dans le code de procédure civile et 16 fois dans le code de procédure pénale) fait son entrée officielle dans le droit des obligations en tant que mode d’extinction des contrats (art. 1117 ; art. 1186 et 1187), même si la jurisprudence l’avait déjà acclimatée (Cass. com. 4 nov. 2014, n° 13-24.270 : "lorsque des contrats incluant une location financière sont interdépendants, l’anéantissement du contrat principal est un préalable nécessaire à la caducité, par voie de conséquence, du contrat de location").

Le souci d’actualisation terminologique a aussi conduit la réforme de 2016 à aligner le vocabulaire juridique sur le langage courant : c’est ainsi que la répétition est devenue la restitution (art. 1302, 1302-2, 1302-3), même si l’article 1304-5 a échappé à la tendance : "ce qui a été payé peut être répété tant que la condition suspensive ne s’est pas accomplie".

Cette modernisation a permis à quelques mots rarement employés par les juristes d’accéder désormais au lexique juridique : les contrats peuvent désormais disparaître (art. 1186), le débiteur peut se heurter à l’obstruction de son créancier (art. 1345-1 et 1345-2).
L’ordonnance du 10 février 2016 a également consacré l’emploi d’un mot à connotation économique : opération. Nous connaissons désormais les opérations sur obligations (art. 1321 à 1340) et le cas où "l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération" (art. 1186).

Il est temps de citer la dernière innovation terminologique de la réforme du droit des obligations. Le nouvel article 1308 du code civil réglemente l’obligation facultative. La formule est surprenante, d’apparence logomachique (!), même si le concept est justifié : ce qui est facultatif n’est pas l’engagement proprement dit, mais son mode d’exécution, le débiteur ayant le choix entre deux procédés pour honorer sa dette. Tel est le cas de l’acheteur condamné pour cause de lésion du vendeur (art. 1681 C. civ.) : il peut rendre le bien en se faisant rembourser le prix payé ou le garder en payant le supplément du juste prix.

L’ordonnance du 10 février 2016 appelle aussi une remarque grammaticale. L’adverbe explétif ne dans les subordonnées introduites par à moins que n’apparaît pas systématiquement. Ainsi le nouvel article 1231 énonce à moins que l’inexécution soit définitive, alors que le nouvel article 1348 préfère à moins qu’il n’en soit décidé autrement. La même inconstance caractérise l’article 1321 (à moins que la créance ait été stipulée incessible) et l’article 1352-1 (à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute). Les grammairiens considèrent que l’emploi du ne explétif après à moins que est facultatif. Certes, mais par souci de cohérence une même œuvre devrait retenir une seule option et s’y tenir. L’article 1351 pousse même la maladresse à l’extrême puisque le même membre de phrase contient les deux options : à moins qu’il n’ait convenu de s’en charger ou qu’il ait été préalablement mis en demeure.

Puissent ces remarques encourager nos étudiant(e)s à perfectionner leur expression !

Photo de Une : (illustration cours magistral à la faculté) DR

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