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Après les difficultés : les pièges du droit au rebond

L’expression est désormais célèbre. "Accordons une seconde chance au chef d’entreprise ayant fait faillite". Au demeurant, louable, l’idée n’en demeure pas moins délicate à appréhender, ne serait-ce que par la problématique bancaire du financement de l’activité post-faillite. Une seconde chance, oui, mais pas à n’importe quel prix ! Entre faveur et piège dissimulé, la question de l’existence d’un véritable droit au rebond se pose.

Par Benjamin FERRARI, Doctorant contractuel et chargé d’enseignement à l’Université Côte d’Azur, Membre du CERDP (EA 1201)

Deux institutions traduisent au mieux la volonté d’accorder un nouveau départ au débiteur : la règle "connue" de l’arrêt des poursuites après la clôture d’une liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif et la "récente" procédure de rétablissement professionnel.

Droit des entreprises en difficultés et intérêts des créanciers

Lorsqu’une procédure de liquidation judiciaire est clôturée pour insuffisance d’actif, les créanciers sont privés de leur droit d’action à l’encontre du débiteur. Toutefois, cette règle n’est pas absolue et souffre de nombreuses exceptions. Celles-ci permettent de pondérer les intérêts en présence au sein des procédures. Le chef d’entreprise pourra, par exemple, toujours être poursuivi par ses garants qui auraient payé à sa place durant la liquidation ou encore au titre de biens échus sur succession durant la procédure. Ces exceptions ne constituent pas véritablement de pièges pour le chef d’entreprise, mais ne le libèrent pas totalement du poids de ses dettes.
Au contraire, la procédure de rétablissement professionnel semble parfaitement incarner le droit au rebond. Elle s’adresse au débiteur qui n’a pas de salarié, qui n’exerce pas son activité sous une forme sociale et dont l’actif n’atteint pas la somme de 5 000 euros. Puisque cet actif est de faible valeur, l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, dont l’essence est de réaliser le patrimoine du débiteur afin de désintéresser ses créanciers, ne servirait à rien. Par conséquent, en l’absence de biens à liquider, les dettes du chef d’entreprise seront effacées sous certaines conditions. Plus qu’un droit au rebond, le rétablissement professionnel garantirait, de surcroît, un droit au rebond rapide, le rétablissement devant être prononcé dans un délai de 4 mois après son ouverture.
La première impression est donc extrêmement positive et humaniste, ce qui est, par ailleurs, particulièrement déroutant dans cette matière où l’objectivité des chiffres prime habituellement.
Néanmoins, ce droit au rebond "rapide" a un prix et le praticien des procédures collectives n’en sera pas étonné. Si de manière générale, il est difficile de faire les choses vite et bien, cette expression se vérifie particulièrement à l’égard du rétablissement professionnel.
Si le droit au rebond semble désormais faire partie des préoccupations du législateur, il n’en demeure pas moins que le droit des entreprises en difficulté a toujours pris en compte l’intérêt des créanciers. Aussi, nous comprenons qu’il s’agit là d’une véritable procédure et non d’une simple radiation administrative. Il ne faut également pas perdre de vue que le législateur français a vu là l’occasion de faire sortir des statistiques du nombre de procédures collectives les dossiers dits impécunieux. Le rétablissement professionnel fait figure d’OVNI dans la matière du droit des entreprises en difficulté. Certes, il s’agit d’une procédure, mais elle n’a rien de "collective". Là est bien le problème, et soudain, les sentiments humanistes s’amenuisent !
Au sein d’une procédure collective "classique", les créanciers doivent déclarer leur créance. Ces derniers perdent leur droit d’initiative individuelle, mais confient leur droit de créance au liquidateur ou au mandataire de la procédure. Il s’agit de la discipline collective. La situation s’inverse en matière de rétablissement professionnel.
Le chef d’entreprise doit lui-même établir la liste des créances "à effacer". Toutefois, en l’absence de discipline collective, le créancier dont le nom n’aurait pas été porté sur la liste peut encore agir en recouvrement de sa créance et par conséquent, aggraver la situation du chef d’entreprise. Aussi, nous pourrions voir là un risque de fraude.

Attention à l’oasis du rebond

Volontairement, le chef d’entreprise pourrait être tenté de favoriser un créancier au détriment des autres. Heureusement, le législateur a prévu une liste de créances ne pouvant faire l’objet d’effacement, notamment, les créances alimentaires ou encore celles trouvant leur origine dans la commission d’une infraction.
Surtout, la procédure de rétablissement professionnel est particulièrement réversible et intimement liée à la procédure de liquidation judiciaire.
Le rétablissement professionnel n’est pas une procédure autonome. Elle présuppose l’ouverture d’une liquidation judiciaire, laquelle en constitue le cadre. En filigrane, l’ombre de la liquidation judiciaire plane sur le rétablissement professionnel. Pour cette raison, le chef d’entreprise doit être de bonne foi quant à l’établissement de la valeur de son patrimoine. À défaut, le tribunal, sur rapport du juge-commis, peut, à tout moment, "basculer" en liquidation judiciaire. La mesure est pragmatique.
Toutefois, elle transforme la liquidation en une punition, ce qu’elle n’est plus depuis plusieurs décennies.

Plus encore, si la mauvaise foi du débiteur apparaît après la clôture du rétablissement professionnel, l’effacement des dettes sera lui-même "effacé". Les créanciers retrouveront alors leur droit de créance. À l’avenir, la nature juridique de la notion "d’effacement" pourrait donc avoir à se poser. L’effacement" apparaît finalement plus éphémère que ce que la force du mot laisse à penser.

En définitive, si le droit au rebond constitue bien l’une des priorités du législateur, il n’en oublie pas pour autant de pondérer les différents intérêts en présence et notamment, celui des créanciers.
Débiteur, prends garde aux mirages se formant devant l’oasis du rebond !
Une seconde chance, oui, mais pas à n’importe quel prix !

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