Le patronat, tendu, (...)

Le patronat, tendu, compte sur la reprise

  • le 7 septembre 2010

Lors de son université d’été, du 1er au 3 septembre, le Medef est apparu préoccupé par la puissance de la Chine, une croissance médiocre et la persistance des déficits publics. Le mouvement patronal soutient sans réserve la réforme des retraites présentée par le gouvernement.

« La Chine a-t-elle déjà gagné ? » C’est par cette phrase que le Medef a intitulé la séance d’ouverture de son université d’été, organisée comme chaque année sur le campus de HEC à Jouy-en-Josas (Yvelines). A entendre Katrin Bennhold, jeune reporter à l’International Herald Tribune, oui, la Chine a déjà gagné. « La France revient d’un mois de vacances, cela se voit aux visages bronzés. Pendant ce temps, la Chine a ouvert cinq centrales nucléaires, lancé douze modèles de voiture, breveté 5 000 logiciels et diplômé 600 000 nouveaux ingénieurs, devenant en passant la deuxième économie mondiale », attaque d’emblée la journaliste, en préambule de la « table ronde » réunissant à la fois Christine Lagarde, Christophe de Margerie et John Elkann, PDG respectifs de Total et de Fiat, mais aussi Kong Quan, ambassadeur de Chine à Paris.
Devant un parterre de quelques milliers de chefs d’entreprise, de responsables locaux du Medef et de journalistes, chacun apporte sa réponse. Statistique pour Dominique Senequier, présidente du directoire de l’assureur Axa : « En trente ans, le taux d’illettrisme de la Chine est passé de 33 à 6%, tandis que le pays compte 23 universités parmi le top 500, soit autant que la France ». Commerciale pour Kong Quan, qui vante « la croissance moyenne de 9,8% depuis trente ans ». Et désormais, la croissance chinoise génère « moins de pollution et plus de développement durable », poursuit dans un français parfait l’ambassadeur de Chine, qui se lève et salue l’auditoire de la tête à la fin de sa présentation. Christophe de Margerie se contente pour sa part d’un sophisme : « La Chine a gagné si elle sait qu’elle n’a pas gagné ». Le sinologue François Jullien renverse la question : « Avons-nous déjà perdu ? » Pour lui, la transformation de la Chine, autrefois nation socialiste, aujourd’hui empire capitaliste, est « si silencieuse et continue qu’elle ne nous surprend pas ». Christine Lagarde, enfin, souligne la montée en puissance des « émergéants », un mot-valise qui rappelle la fameuse « rilance », contraction de « rigueur » et de « relance », inventé au début de l’été. Mais la nouvelle force de la Chine lui confère des obligations. « Le premier exportateur du monde a tout intérêt à ce que les autres puissent acheter », avance la ministre de l’Economie, qui plaide pour la participation de Pékin aux discussions monétaires internationales.

Patrons moins conquérants

Interrogés par Katrin Bennhold sur l’état de leurs affaires en Chine, les chefs d’entreprises hésitent entre enthousiasme, coopération et défensive. Jean-Pascal Tricoire, président du directoire de Schneider Electric, insiste sur l’importance de l’économie chinoise pour le groupe qu’il dirige : « 10% du chiffre d’affaires, 20 000 collaborateurs ». Christophe de Margerie essaie de minimiser les ambitions pétrolières de Pékin en Afrique en proposant à Petrochina « d’y aller ensemble ». John Elkann insiste sur le poids de son groupe… au Brésil. Face à la Chine, « si on n’avait pas le Brésil, on aurait de grandes difficultés », avance le jeune héritier du groupe Agnelli.
D’où vient cette impression que les patrons, cette année, semblent moins conquérants ? Qu’ils craignent pour leurs marchés tout en ignorant s’ils seront capables d’en trouver d’autres ? Même Laurence Parisot admet un certain désarroi des entrepreneurs français. « Nous ne sommes plus face au monde que nous connaissons, il nous est moins familier, il nous apparaît soudainement presque inquiétant, étrange en tous cas », écrit la présidente du Medef pour présenter le thème de ces rencontres, « L’étrangeté du monde, mode d’emploi », qui rassemblent 175 intervenants et 4 000 participants. Le patronat tente malgré tout de se rassurer. Ainsi, au sortir d’une séance réunissant, en vidéoconférence, des responsables des patronats américain, indien et chinois, la président du Medef relève le relatif optimisme des dirigeants mondiaux. « Personne ne croit à un scénario en W », souligne-t-elle, en allusion à une double crise annoncée par certains observateurs.

Eric Woerth en vedette

L’université d’été du Medef, qui se nourrit habituellement des réflexions de leaders de la société civile, qu’ils soient universitaires, politiques, romanciers, sportifs ou syndicalistes, déçoit certains participants. « C’est moins intéressant que les autres années. Les tables rondes portent surtout sur les questions géopolitiques et les résultats économiques », souligne un habitué, cadre dans une grande entreprise. Rares sont les invités qui, comme l’écrivain Erik Orsenna, se laissent aller à un peu de poésie. « Les romans permettent de comprendre le monde », affirme l’ancien conseiller de François Mitterrand. Bien que reposant sur des faits inventés, « ils présentent des vérités timides, des vérités tremblées qui ressemblent à la vie », ajoute-t-il.
Les dirigeants syndicaux, qui participent habituellement sans déplaisir à des joutes animées, ont refusé de venir à Jouy-en-Josas, pour cause de désaccord avec le Medef sur les retraites. Le patronat s’est en revanche offert le luxe d’accueillir de nombreux ministres et en particulier Eric Woerth, comme pour montrer son attachement à une réforme jugée emblématique. Laurence Parisot fait même des retraites un symbole de la réduction des déficits publics. Dénonçant la « trajectoire extraordinairement inquiétante » des finances, la patronne des patrons livre son pessimisme. « Si nous continuons comme ça, nous pourrions avoir un niveau de dette égal à 100% dès 2015 », affirme-t-elle. « Or, à ce niveau, c’est impossible d’aller chercher de la croissance », juge-t-elle, relançant ainsi le débat avec des syndicats bien décidés à lui répondre, le 7 septembre, par une journée de grèves et de manifestations.

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