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Actualité : paroles d’argent

Le gendarme des marchés fait part de ses inquiétudes sur la conjoncture financière présente et à venir. La BCE ne se montre guère plus optimiste. Mais renonçant à la tradition de la maison, elle annonce clairement une longue période d’argent gratuit. Afin de remonter le moral des marchés. Plutôt culotté.

Les investisseurs boursiers ne sont pas les seuls à être soumis au stress. Si l’on en juge à leurs récents propos, les régulateurs de l’Autorité des marchés financiers (AMF) sont également dans leurs petits souliers. Lors de leur dernière intervention publique, ils se sont employés à inventorier les risques qui planent au-dessus de la sphère financière. Non qu’ils aient détecté de nouvelles sources d’inquiétude. Mais mis bout à bout, les facteurs de risque déjà connus forment un nuage noir propre à paralyser l’épargnant le plus aventureux. Qu’on en juge. En termes de stabilité financière : la politique budgétaire des Etats européens, tout particulièrement les plus fragiles, frise le zéro Kelvin sur l’échelle de la crédibilité. Il en résulte de fortes tensions sur les marchés financiers, comme celui provoqué par le psychodrame récent au sein du gouvernement portugais. Ensuite, les entreprises en général et les institutions financières en particulier sont exposées à un environnement dégradé qui compromet leur profitabilité. Enfin, la persistance de taux d’intérêt très faibles encourage des prises de risques inconsidérés de la part des opérateurs, et accroît la probabilité d’un krach obligataire. En termes de marchés : l’opacité se renforce, avec la montée en puissance des dark pools, ces marchés non réglementés qui réalisent aujourd’hui la moitié des transactions sur les valeurs du CAC 40. Et toujours la prééminence du trading à haute fréquence, dont les risques sont encore mal appréhendés, et la permanence de transactions considérables sur les dérivés de gré à gré, dont les dangers systémiques sont avérés sans être pour autant mesurables.

Quant au financement de l’économie, les PME rencontrent toujours d’importantes difficultés pour mobiliser des ressources, tant auprès des banques que sur les marchés. Ce qui n’empêche pas l’épargne des particuliers d’être mal orientée par rapport aux besoins du pays (préférence pour la liquidité), ou d’être exposée à des risques non souhaités, sous l’effet de conseils « inadaptés » des distributeurs (les produits financiers complexes, dits « structurés », sont une mine d’or pour les concepteurs, mais souvent des grenades dégoupillées pour les acheteurs). Bref, dans un contexte de morosité persistante sur le plan de la croissance, l’argent ne se trouve pas là où il devrait être. Et il se concentre dans les mains de la spéculation, pour une large part hors la vue des régulateurs, au risque de faire péter la chaudière et, accessoirement, de mettre sur la paille des cohortes d’épargnants popote. Un environnement électrique, donc, malgré, dit l’AMF, l’action vigoureuse des banques centrales. On est plutôt tenté de penser que c’est à cause de l’action desdites banques centrales que les risques de krach deviennent de plus en plus élevés.

La BCE se lâche

On l’a souvent répété ici : le système financier, complètement déglingué depuis la survenance de la crise, est maintenu dans un équilibre précaire par le déploiement de moyens herculéens de la part des banques centrales. Lesquelles créent de la monnaie en échange de créances irrécouvrables, et couvrent les banques commerciales dans leur exercice régulier de maquillage de bilan. Afin de gagner du temps, dans l’attente improbable d’un miracle qui ressusciterait les créances en état de coma dépassé. Tant que l’illusion perdure, la spéculation continue d’animer les marchés avec de l’argent virtuel. La question est de savoir comment ramener les drogués à la réalité, sans provoquer le collapsus que l’on a voulu éviter. L’exercice n’est pas aisé : on a vu récemment la FED américaine, ainsi que la Banque de Chine, revenir dare-dare sur leur intention de fermer le robinet, par crainte d’envoyer les Bourses au tapis.

En foi de quoi, la Banque centrale européenne, forte de l’expérience de ses consœurs, vient-elle de s’essayer à une approche différente. Pas en termes de politique monétaire : personne n’a encore élaboré de stratégie alternative qui ne déclenche pas la catastrophe. Ce qui diffère désormais, c’est la politique de communication. Depuis l’origine, la BCE s’est toujours gardée d’annoncer à l’avance la politique qu’elle suivrait sur une longue période. Le maître mot étant de défendre une politique « appropriée », c’est-à-dire adaptée aux contraintes de la conjoncture présente ou pronostiquée. Afin de ne pas laisser la bride trop lâche aux différents opérateurs et les encourager à des anticipations hardies. La menace du fouet, en quelque sorte. Dans sa dernière intervention, Mario Draghi a pris le contrepied de l’attitude antérieure. En annonçant, la bouche en cœur, que la Banque maintiendrait une politique (très) accommodante : « tous les taux clés de la BCE resteront au niveau actuel ou à un niveau plus bas pour une longue période de temps  ». Pas six mois ni douze ; plus longtemps encore. En prime, aucun des moyens « non conventionnels » ne sera écarté si nécessaire, du taux de dépôt négatif au recours à l’OMT (Outright Monetary Transactions), le fameux programme d’achat de créances souveraines sur le marché - pour l’instant suspendu à la décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, soit dit en passant.

En somme, la BCE entend ouvrir plus grand encore les vannes du crédit, contrairement à la FED qui aimerait pouvoir réduire le débit. Et notre Banque centrale annonce que sa générosité durera longtemps, plus d’un an en tout cas, ouvrant ainsi un boulevard de sérénité à tous les spielers boursiers. Mais il y a au moins deux ombres au tableau. La première est de l’ordre de la causalité : pour s’engager de la sorte, la Banque est convaincue que la crise est loin d’être terminée et que la croissance ne sera pas au rendez-vous de sitôt. La seconde relève des effets : cette fuite en avant dans la création monétaire prolonge l’illusion dont il est question plus haut. Et rend potentiellement plus douloureux le moment où il faudra siffler la fin de la récré. A moins que l’Allemagne, aiguillonnée par la très orthodoxe Bundesbank, ne vienne prématurément contrarier le numéro de Père Noël de Mario Draghi. En d’autres termes, AMF et investisseurs n’ont pas fini de se ronger les sangs.

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