Bourses : regain d’incertitude

La donne évolue sur le marché américain : la FED devient moins accommodante. Mais la croissance n’est pas suffisante pour compenser la restriction de liquidités. En Europe, les marchés attendent de la BCE qu’elle se montre généreuse. Mais la Banque n’a pas encore décidé sur quel pied danser. Les Bourses sont nerveuses.

Les Bourses méritent-elles leur réputation de grenouilles conjoncturelles ? La variation des indices est-elle représentative d’une anticipation pertinente ? Telles sont les facultés divinatoires dont sont crédités les marchés, et peut-être sont-ils réellement doués de prémonition. Encore faut-il éviter le contresens dans son interprétation : une hausse des actions ne signifie pas nécessairement que la situation économique soit en voie d’amélioration. Mais plutôt qu’il existe de bonnes raisons d’espérer la valorisation des titres, par majoration des bénéfices des firmes (sans que leur volume d’affaires s’accroisse nécessairement), ou par un afflux d’acheteurs – il faut bien faire quelque chose de l’argent disponible. Ce dernier cas de figure est celui qui domine les places financières, depuis que les banques centrales émettent beaucoup plus de monnaie que de richesses effectivement produites. Beaucoup plus d’argent, en tout cas, que ce qui est nécessaire à fluidifier l’économie « réelle » - celle où de vrais gens font tourner de vraies entreprises qui fabriquent de vrais produits, ou offrent de vrais services. Pour une large part, les liquidités surnuméraires sont utilisées par l’industrie financière pour ajouter un étage supplémentaire de paris hasardeux à ceux qu’elle a déjà engagés, et à faire mouliner les robots du trading à haute fréquence pour « capturer de la valeur » sur les marchés boursiers. Et accessoirement dépouiller le pékin qui ose encore se hasarder en ces lieux. Des logiciels maraudeurs au service de l’économie virtuelle, désormais responsables de plus de la moitié des transactions.

Pour sophistiqués qu’ils soient devenus, ces automates gestionnaires sont conçus pour « pressentir » uniquement la tendance à très court terme. Il n’est sans doute pas exagéré de prétendre qu’ils fabriquent eux-mêmes cette tendance : avec des écarts réguliers de 3 à 4% entre le plus haut et le plus bas de l’indice sur une même séance (donc considérablement plus sur un titre quelconque), on peut difficilement argumenter de telles variations par un discours rationnel. En revanche, le retour récent d’une volatilité importante sur les marchés témoigne, sans doute possible, d’un regain de nervosité des gestionnaires humains. Qui réévaluent leur appréciation des fondamentaux ou, en d’autres termes, se mettent à douter de leurs convictions antérieures.

Remise à plat

Reconnaissons que le contexte américain n’est guère de nature à forger des certitudes. Voilà peu, la Banque centrale a confirmé son intention de resserrer graduellement sa politique monétaire, suscitant un mouvement d’inquiétude à Wall Street, pour les raisons mécaniciennes ci-dessus invoquées. Toutefois, les craintes étaient rapidement balayées par des statistiques encourageantes : la croissance semblait de retour avec une belle vigueur. Les profits de l’économie réelle étaient donc supposés relayer les stimulants monétaires virtuels. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps : la tendance d’un retour à meilleur fortune n’est pas confirmée, alors que les désordres sur les monnaies émergentes – largement consécutifs à la stratégie de la FED -, font planer de nouveaux risques sur le système financier. Bref, la valorisation des actions pourrait ainsi se révéler trop optimiste : les opérateurs se montrent en conséquence plus frileux.

En Europe, l’état d’esprit est différent : il est admis que les perspectives de croissance sont modestes, tant sur l’exercice en cours que sur le suivant. En foi de quoi les Boursiers sont-ils sensibles aux deux paramètres qui peuvent influencer la situation, dans un sens ou dans l’autre. D’abord, les politiques budgétaires. Leur impact demeure nécessairement mineur, car la marge de manœuvre des gouvernements est écrasée par l’impératif d’orthodoxie. Ainsi, pour la France, les 30 milliards d’euros d’allègements de charges promis aux entreprises – ce qui n’est pas négligeable – n’ont pas eu d’effet tangible sur la tendance du marché. Ce dernier est en revanche beaucoup plus sensible à l’action (ou aux discours) de la BCE. La dernière réunion de la Banque était très attendue, à cause de la mauvaise surprise causée par la publication de l’indice des prix de janvier : la tendance s’établissait à 0,7% en rythme annuel, en nouvelle régression par rapport au mois précédent. De quoi ranimer la crainte de la déflation, déjà exprimée par de nombreux économistes, et de plus en plus vraisemblable au vu du contexte environnant : austérité budgétaire généralisée dans l’Union, reprise américaine hypothétique et ralentissement des pays émergents. Aucune locomotive pour tirer le Vieux continent essoufflé.

Dans les déclarations qui ont suivi le Comité monétaire de la BCE, Mario Draghi n’a pas levé les incertitudes. La Banque déclare ne pas redouter la déflation, mais elle attend les prochaines statistiques, et les travaux de prospective qui seront publiés en mars, pour prendre éventuellement de nouvelles dispositions. Dans l’immédiat, notre grand argentier avoue naviguer dans l’obscurité : « Nous voulons y voir clair dans l’incertitude actuelle », a-t-il affirmé, pour justifier l’attentisme de l’Institution et le strict maintien de son dispositif actuel. Quant à l’avenir, monsieur de La Palice ne l’eût pas mieux défini : « Les choses peuvent être pires, rester comme elles sont ou s’améliorer ». Bien, merci du tuyau. On se souvient des discours de Greenspan, longtemps patron de la FED, auxquels personne ne pigeait rien (pas même lui, selon son propre aveu). Avec Draghi, les allocutions sont parfaitement intelligibles. Elles n’apportent pour autant aucune information à ceux qui les écoutent. Si ça se trouve, nos éminents banquiers centraux ne comprennent pas mieux que nous, simples mortels, le monde qui nous entoure. Dommage : tout le monde compte sur eux…

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