Foi et bonne foi

Il ne sera pas évident de démontrer la mauvaise foi bancaire dans le dossier des prêts « toxiques » aux particuliers. Même si la suspicion est légitime. En revanche, il est permis de douter de la bonne foi des statistiques officielles. Les Bourses s’en moquent : elles n’accordent leur foi qu’aux promesses des Banques centrales.

Où finit la bonne foi, où commence la tromperie dans une opération commerciale ? La frontière n’est pas toujours évidente, surtout dans le domaine de la finance : l’épargnant est irrésistiblement attiré par la « bonne affaire », même si les conditions contractuelles sont parfaitement explicites sur le risque encouru. On devrait bientôt connaître le verdict du Juge dans le dossier Helvet Immo, une formule de financement proposée il y a quelques années par une filiale de la BNP. Le principe de base était voisin de celui qui a causé tant de dommages aux collectivités locales : un emprunt libellé en devise étrangère. Le franc suisse, au cas d’espèce, monnaie sur laquelle les taux d’intérêt étaient alors sensiblement plus faibles que sur l’euro. Sans avoir pu consulter les conditions générales du prêt Helvet Immo, on est fondé à supposer que la formule était moins complexe que celles diffusées par Dexia aux collectivités (assorties de bonifications susceptibles de dissimuler temporairement le risque de l’emprunteur). Apparemment, il s’agissait d’un simple prêt en francs suisses (CHF), remboursable en euros, donc nécessitant l’actualisation régulière des mensualités selon le cours du change, ainsi que celle du capital restant dû. Stable durant l’année 2009 (autour de 1,54CHF pour 1€), le cours du franc s’est envolé pendant les deux années suivantes, en phase avec la crise de l’euro. Les débiteurs ont ainsi pu mesurer que le franc était en effet une « valeur refuge », argument souvent avancé par les vendeurs pour vanter la « sécurité » de l’opération (alors qu’il s’agit plutôt d’un contre-argument, au cas d’espèce).

Dans la procédure en cours, le Juge devra donc déterminer si les emprunteurs ont été mal informés, et dans cette hypothèse, par qui. Car les prêts en cause ont été essentiellement distribués par des intermédiaires (parmi lesquels des notaires). Il n’est pas certain que la banque puisse être convaincue de pratiques commerciales trompeuses, au travers des documents qu’elle a édités pour diffuser le produit. Ni que la mauvaise foi délibérée puisse être prouvée, même si l’expérience démontre que le secteur financier se montre volontiers hermétique à toute considération éthique. En tout cas, une évidence s’impose : les courtiers en crédit, tout comme leurs clients, ont fait preuve d’un défaut manifeste de discernement. Car ces emprunts ont été conclus, le plus souvent, sur une durée de 20 ans. C’est-à-dire que les uns et les autres ont spéculé sur la stabilité de la parité entre les deux monnaies, dans une perspective de très, très long terme. Ou pronostiqué que le franc se déprécierait par rapport à l’euro. Ce sera peut-être le cas, un jour ou l’autre. Mais probablement pas avant que la Justice n’ait tranché le différend – même si elle a inexplicablement tardé avant de se saisir du dossier. Et même si la Banque nationale suisse, soucieuse de protéger ses exportations, met tout en œuvre pour contenir la parité autour de 1,20CHF contre euro. Les traders sont de vrais professionnels du risque ; mais pas un seul sur la planète ne se hasarderait à parier un penny sur une paire de monnaies, à échéance de 20 ans.

Dépréciation des annonces officielles

Où finit la bonne foi, ou commence la duperie dans la publication des statistiques officielles ? La question se pose souvent dans ces colonnes, au vu de la volatilité des résultats, entre les premières estimations et les chiffres définitifs publiés quelques semaines ou quelques mois plus tard. L’interrogation vaut pour tous les pays du monde, mais l’administration américaine, pourtant peu suspecte d’être dépourvue des moyens appropriés, vient à nouveau de se rendre suspecte, à deux reprises, de manipulation pure et simple. Dans une première estimation, la croissance US de 2013 a été évaluée à 3,2%. Un rythme qui confortait la confiance officielle dans la reprise et qui laissait augurer de bonnes perspectives pour l’année en cours. De quoi encourager les investisseurs boursiers et conforter la stratégie adoptée par la FED. Puis le chiffre définitif est tombé : la croissance n’était plus que de 2,3%, laissant supposer que le premier rédacteur était dyslexique, ou que le service américain des statistiques est aux mains de bricoleurs, ou que, plus probablement, l’information initiale a été délibérément gonflée. Le phénomène s’est reproduit avec les statistiques de l’emploi US du mois de janvier – le marché du travail est devenu un indicateur essentiel de la politique monétaire US. Entre la première estimation (conforme aux attentes) et le chiffre définitif, l’écart est de 30% - en moins, bien entendu.

Assorties d’un tel écart-type, les statistiques n’ont plus beaucoup de signification. Ce qui explique peut-être pourquoi les Bourses y sont totalement indifférentes – le S&P 500, principal indice américain, vient de pulvériser son plus haut historique. Tout indique aujourd’hui que les marchés financiers ne s’intéressent pas aux faits, mais uniquement aux promesses. Celles qu’ils obtiennent des banques centrales - ou qu’ils croient pouvoir obtenir d’elles. Ni la mollesse de l’activité, ni la crise persistante du marché de l’emploi, ni la grenade dégoupillée de l’Ukraine ne tempèrent leur enthousiasme. Les banquiers centraux délivrent leur bénédiction urbi et orbi aux marchés financiers, qui s’estiment ainsi prémunis contre toute malignité du sort. Après leur récent Conseil, Banque d’Angleterre et BCE ont tenu des propos apaisants. Selon Mario Draghi, la zone euro serait même « une île de stabilité ». Ayons donc foi en ses allégations, sans toutefois s’enhardir à emprunter en francs suisses…

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