Frissons sur le LBO

Frissons sur le LBO

Le recours massif au crédit, qui caractérise le rachat d’entreprises en mode LBO, continue de susciter des inquiétudes. Car une longue période de basse conjoncture fragilise ces montages téméraires. Mais l’appétit du marché pour les obligations à haut risque pourrait aider les opérateurs à se refinancer.

Les Etats ne sont pas les seuls à supporter un endettement excessif. Excluons les ménages et les étudiants, dont le surendettement est surtout spécifique aux pays anglo-saxons et ne concerne qu’à la marge les Européens, à l’exception notable des Irlandais et des Espagnols, nombreux à être piégés dans le dégonflement de la bulle immobilière. Mais l’Europe a importé des States quelques uns de ses modèles sportifs de financement, notamment en matière de rachat d’entreprises. Regroupées sous le label générique de LBO (Leverage Buy Out), ces modalités d’acquisition reposent toutes sur le même principe : le recours massif au crédit, dont le remboursement doit s’opérer par… la cible, c’est-à-dire par l’entreprise faisant l’objet de l’achat. Dans le format standard, les acheteurs investissent leur apport personnel dans une société holding, qui emprunte le solde de ses besoins sous forme de crédit bancaire (dette senior) et, si nécessaire, sous forme de titres plus complexes (obligations convertibles ou à bons de souscription d’actions), lesquels constituent la « dette mezzanine » (elle se situe après la dette senior dans la hiérarchie des chirographaires : sa rémunération est donc plus élevée).

Le montant de cash apporté par les investisseurs est variable, selon les particularités de l’entreprise et la sensibilité au risque des prêteurs, laquelle varie dans des proportions astronomiques selon les périodes (comme en témoignent les derniers avatars du système bancaire). Ainsi, il n’est pas exceptionnel de monter un LBO avec 20% d’apport et 80% d’emprunts divers, au travers de montages relevant du funambulisme. Mais plus l’apport initial est faible, plus le levier financier est puissant pour les investisseurs, sous réserve que l’opération se solde par un succès, bien entendu. A savoir que l’entreprise-cible prospère et qu’elle puisse être revendue à un prix supérieur après quelques années (les financements sont souvent conclus pour une durée de 7 ans).

Refinancement à risque

En Europe, la France n’arrive qu’en troisième position dans la pratique du LBO, derrière la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Et depuis le déclenchement de la crise financière, ce mode opératoire s’est fortement ralenti, on s’en doute, eu égard au risque élevé de tels montages. En effet, pour que le pari soit réussi, il est nécessaire d’obtenir de l’entreprise cible une croissance vigoureuse, des résultats généreux et un cash flow abondant, afin de remonter dans la holding les moyens appropriés au remboursement des dettes. Ce n’est donc pas un hasard si les entreprises sous LBO procèdent en tout premier lieu à des compressions de personnel, afin de réduire le plus possible les charges fixes. Mais évidemment, les meilleurs managers du monde ne peuvent contrarier une conjoncture dégradée en utilisant les seuls moyens de la « gestion courante ». Si bien qu’en période de vaches maigres, de telles entreprises sont beaucoup plus vulnérables que leurs homologues disposant d’une structure financière plus musclée.

Dans la note consacrée au sujet l’année dernière, l’agence de notation Moody’s tirait la sonnette d’alarme. Estimant que les dettes LBO venant à échéance (en Europe) jusqu’en 2015, pour un total de 133 milliards d’euros, étaient exposées au risque de défaut pour le quart de leur montant. Pas étonnant que depuis 2008, la City de Londres ait baptisé « fonds de la terreur » les fonds spécialisés dans ce type de financement. Lesquels recourent eux-mêmes au crédit, bien entendu, ce qui confère une dimension systémique à leur faillite éventuelle. Parmi tous les LBO conclus avant la crise (il y en a eu environ 1 500 en France sur la seule année 2007), nombreux sont ceux qui devront se refinancer dès l’année prochaine, faute d’être en mesure de déboucler leur opération sans boire le bouillon. Si la croissance n’est pas au rendez-vous – hypothèse plutôt probable -, on risque de rencontrer de nombreuses situations périlleuses. Ce qu’avait anticipé le Président de l’Afic (Association française des investisseurs en capital) dès 2009. Dans un entretien au quotidien Le Monde, il décrivait le LBO comme « un jeu entre adultes consentants ». Il en déduisait qu’en cas de « bombe LBO », les victimes devaient être les banques et les fonds spécialisés, pas les entreprises. Un tel point de vue l’honore, mais dans les faits, les choses ne se passent pas tout-à-fait de cette façon…

Qu’en est-il aujourd’hui, alors que Moody’s vient de publier un nouveau rapport sur la question ? Sur le plan des encours, la situation s’est considérablement améliorée : les LBO conclus entre 2005 et 2007 n’ont plus « que » 68 milliards d’euros à rembourser d’ici 2015 (contre 133 milliards l’année dernière). La baisse est spectaculaire et laisse supposer que, dans l’intervalle, une bonne partie des créances s’est déjà transformée en capital, ou que des refinancements ont eu lieu sur le marché obligataire (au prix de taux d’intérêt généralement assassins, ce qui ne sécurise guère le montage originel). Mais selon Moody’s, la proportion des dossiers toxiques reste inchangée : 25% d’entre eux demeurent exposés au sinistre. Certes, c’est inquiétant pour la survie des entreprises concernées. Mais à la lumière des événements de l’année dernière, on peut penser que l’attrait constant du marché pour les obligations « à haut revenu » permettra de refinancer aisément une large part des encours concernés. Cela n’empêchera pas les déconfitures en chaîne, mais les fonds spécialisés ne seront plus les seuls à se faire éponger.

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