G 8 en bémol

G 8 en bémol

Pour les dirigeants, ce ne sont pas les sujets de préoccupation qui manquent. Mais pour y faire face, il faut à la fois des idées, de la volonté, et un minimum de bonne foi. Tous les ingrédients ont manqué pour ébaucher une sortie honorable aux désordres syriens. Mais émerge l’intention commune d’éradiquer l’évasion fiscale.

Il ne manquait que la pluie, à Lough Erne, pour rendre complètement sinistre la dernière réunion du G8. Si l’on en juge à la mine des participants sur les photos officielles – dix personnalités, car l’Europe est représentée par Barroso et Van Rompuy, les deux boute-en-train officiels de l’UE –, l’ambiance n’était pas très chaleureuse. Le malheur a voulu que soit portée à l’ordre du jour la question syrienne, un dossier devenu kafkaïen grâce aux mauvais offices de certains participants (dont la France), et qui apparaît désormais aux yeux de tous pour ce qu’il est : un bourbier impraticable. Seul Poutine semble avoir une approche de la situation qui soit à la fois cohérente et conforme au droit international, et il s’oppose tout net à l’armement des « rebelles ». C’est cette dernière option que défendent Français et Anglais sous la pression des Américains, lesquels continuent de faire semblant de se tâter, en dépit des vraies-fausses preuves d’utilisation d’armes chimiques - probablement prélevées sur l’arsenal chimérique de Saddam Hussein. Bref, quelques chopes de bière irlandaise n’ont pu venir à bout de la détermination du président russe. Si bien que le consensus s’est limité à un objectif modeste : la voie politique. La diplomatie, si l’on préfère. Toute la difficulté de l’exercice consiste à réunir au moins deux protagonistes autour du tapis vert genevois. L’ennui, c’est que les factions d’opposants ne sont pas d’accord entre elles. Et en tout cas, aucune n’accepte de voir Bachar Al-Assad autour de la table. Tout cela augure mal d’une solution négociée. De ce fait, si les opposants ne sont pas vraiment en Syrie par la volonté du peuple, ils en sortiront probablement par la force des baïonnettes. Sans passer par la case Genève. Un sherpa a malicieusement baptisé « G7+1 » le dernier sommet, pour souligner la position « isolée » de Poutine. Il n’est pas impossible que cette analyse soit totalement erronée, et qu’il se soit plutôt agi d’un « G6+2 » : dans la résolution du conflit syrien, Russes et Américains pourraient bien être amenés à s’entendre sur le dos de leurs amis et alliés. Car pour l’Oncle Sam, ce n’est pas trahir un vassal que de le cocufier. On fait ça tous les jours, à la Maison-Blanche.

La grande évasion

L’autre gros dossier, qui sera au centre des débats du G20 en septembre, est celui de l’évasion fiscale et son frère de lait, les paradis bancaires. Sur ce thème, qui pollue les finances publiques depuis une bonne trentaine d’années sans avoir suscité de réponse vraiment efficace au plan mondial, on a pu relever un large consensus au sein du G8 irlandais. Il convient toutefois de modérer son enthousiasme : l’accord général porte sur des intentions. Ainsi exprimées dès le début du communiqué final : « Les autorités fiscales dans le monde devraient partager automatiquement leurs informations afin de lutter contre le fléau de l’évasion fiscale ». Les autorités devraient, en effet : l’emploi prudent du conditionnel atteste qu’il s’agit là d’un vœu. Pour le transformer en mesure opérationnelle, il faudra davantage que l’engagement express des membres du G8. Celui de tous les membres de l’UE n’est toujours pas acquis, l’Autriche opposant une résistance toute prussienne et le Luxembourg proposant une adhésion conditionnelle. Pas mal d’obstacles, donc, avant de réunir tous les Etats du monde sous la forme d’un G196 qui entérinerait le dispositif. A ce stade, tous les problèmes ne seraient pour autant pas résolus. Car demeurent le secret des trusts anglo-saxons, qui protègent efficacement l’identité des propriétaires, et les pratiques sophistiquées de l’optimisation fiscale, auxquelles recourent sans retenue les firmes transnationales. Encore que les Etats disposent, semble-t-il, de quelques moyens d’action, pour peu qu’ils manifestent la volonté de les exploiter. Comme l’Italie, où la fraude fiscale est un sport national, qui vient d’infliger une peine de prison aux sieurs Dolce et Gabbana, célèbres stylistes milanais, pour avoir manqué d’habileté dans leur dispositif d’évasion.

Quant à la France, la stratégie annoncée consiste à menacer de la « liste noire » les places financières accommodantes, et à promettre le feu de l’enfer aux contribuables nomades qui négligeraient de confesser leurs fautes (et de payer les indulgences correspondantes). Il n’est pas certain que cette approche rodomonte soit la plus appropriée, si l’objectif est bel et bien de favoriser le rapatriement des capitaux exilés. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter la très instructive audition [1] de M. Condamin-Gerbier au Sénat, par la commission chargée d’enquêter sur le rôle des banques dans le processus d’évasion fiscale. Ce personnage est un ancien gestionnaire de la banque suisse Reyl, qui est apparue comme intervenant dans l’affaire Cahuzac. Ledit Condamin-Gerbier n’est pas un quelconque lampiste du lessivage bancaire ; il connaît parfaitement son sujet, comme en atteste l’audition que l’on encourage le lecteur à visionner intégralement. Il en ressort que l’ingénierie juridique et la tuyauterie informatique sont devenues à ce point sophistiquées que la Suisse ou Singapour sont devenus des havres pour les nuls. L’évasion est désormais tout aussi efficace sans bouger de France. D’où l’argent peut s’évader jusqu’à Hongkong, par exemple, sans pouvoir être tracé. Et arrivé là-bas, s’enfouir dans des trusts inviolables, voire revenir s’investir en France sous une autre identité. Quant à convaincre la Chine de dénoncer les nomades, c’est un combat perdu d’avance : personne ne possède aujourd’hui les arguments de rétorsion appropriés…

Visuel : Photos Libres

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