Impôts : le nouveau (...)

Impôts : le nouveau Graal

Les autorités du monde entier s’emploient à garnir leur escarcelle fiscale. En particulier par la traque de la fraude. L’Europe s’active mais n’avance qu’à petits pas. Les Etats-Unis, en revanche, sont en passe d’anéantir le bien plus précieux du trésor de la Suisse : son secret bancaire.

Un témoignage flagrant de la dèche budgétaire persistante en Europe : jamais les Etats-membres ne se sont autant préoccupés des effets de la fraude fiscale. Laquelle n’est ni nouvelle ni plus importante que par le passé, même si l’impact de l’« habileté fiscale » des grandes firmes pèse aujourd’hui plus lourd dans l’érosion des recettes. Selon les données officielles, le manque à gagner de l’UE s’élèverait à 1 000 milliards d’euros par an, soit environ le double des déficits publics cumulés enregistrés l’année dernière dans la Communauté. Il en résulte que dans un monde parfait, où individus et firmes s’acquitteraient rubis sur ongle des contributions dont ils sont redevables, nous serions tous en excédent budgétaire et de ce fait exonérés des affres de l’austérité. Seulement voilà : l’économie souterraine pèserait 20% du PIB de l’Union. Soit environ 2 500 milliards d’euros d’activités au noir. On s’étonne en conséquence que les autorités se focalisent sur l’évasion de capitaux, qui ne constitue probablement qu’une modeste fraction du manque à gagner fiscal. Sans doute serait-il plus rémunérateur de débusquer les fraudeurs ordinaires de l’économie souterraine. Et de ponctionner équitablement quelques secteurs épargnés, comme l’industrie financière.

Encore que le projet de « taxe Tobin », dont le principe a été validé par les 27, rencontre quelques ratés à l’allumage. Il s’agit d’un prélèvement sur les transactions financières, proposé en 1972 par le « Nobel » James Tobin, en vue de limiter la volatilité sur le marché des changes. Le principe avait déjà été imaginé par Keynes, comme moyen de calmer les ardeurs de la spéculation. Mais sous le poids du lobbying de la sphère financière, la taxe en cause n’a connu que de rares cas d’application. Du reste, l’impôt sur les opérations de Bourse, perçu en France depuis 1893, a été abrogé par la loi de Finances pour 2008. Notons au passage que son taux normal s’élevait à 3 pour mille, alors que la taxe Tobin envisagée par l’Europe s’établissait à l’origine à 1 pour mille. Un taux jugé assassin par les milieux professionnels, qui ont réussi à le ramener à… 1 pour dix mille, ce qui promet de n’avoir strictement aucun effet sur la spéculation (même dans le trading à haute fréquence, qui opère pourtant sur des marges minimes). L’application du dispositif devrait par ailleurs être progressive, ce qui laissera le temps aux autorités d’imaginer le système de collecte ad hoc (on est encore dans le flou le plus total). Bref, une fois encore, les décisionnaires politiques se sont montrés perméables aux arguments de la finance.

Le secret assiégé

Ainsi donc l’Union entend-elle s’inspirer du modèle américain doté du Fatca (Foreign account tax compliance act), une loi imposant aux établissements financiers étrangers de communiquer à l’IRS (l’administration fiscale américaine) toute information sur les comptes détenus par des contribuables yankees. S’agissant des USA, le législateur peut imposer sa loi aux autres pays du monde : en cas de refus d’obtempérer, les établissements en cause sont purement et simplement interdits d’exercice sur le territoire US. De telles dispositions n’existent pas au sein de l’UE, ce qui permet à certains Etats-membres de constituer des havres de paix fiscale revendiqués – au moins jusqu’à ce jour. Mais à la réflexion, faute d’automaticité dans la délivrance d’informations, n’importe quel Etat de l’Union offre un refuge aux déposants voisins, tant que ces derniers ne font pas l’objet d’une suspicion qualifiée. Ce contexte pourrait donc évoluer prochainement, pour peu que soient vaincues les fortes réticences du Luxembourg et de l’Autriche, peu disposés à abandonner le secret bancaire tant que d’autres paradis resteront ouverts ailleurs dans le monde. Une position facile à comprendre : leur secteur bancaire se trouverait alors complètement laminé.
La situation de ces deux pays est pourtant très différente de celle de la Suisse. D’abord parce qu’ils appartiennent à l’Union, et qu’à ce titre ils ne pourront faire perdurer éternellement la protection de l’anonymat des déposants communautaires. Ensuite parce que le secret bancaire ne relève pas, comme en Suisse, de la loi fondamentale. Pour ce dernier pays, le contentieux demeure vivace avec les Etats-Unis, avec un très net avantage aux points pour l’Oncle Sam, qui a déjà dynamité la banque Wegelin, désormais disparue.

Outre les actions judiciaires contre les banques suisses convaincues d’avoir aidé des Américains à s’évader, les autorités de Washington ambitionnent d’obtenir une victoire totale sur Berne. A savoir obtenir des informations automatiques sur tous leurs contribuables et de la part de toutes les banques, ainsi que l’identité des personnels affectés à ces comptes, afin de pouvoir, le cas échéant, mener une action pénale à la fois contre les établissements et leurs salariés. Or la loi suisse protège les uns et les autres. Ainsi, du reste, que les autochtones eux-mêmes : le fisc ne peut avoir accès aux comptes bancaires des contribuables que dans des cas très spécifiques de procédures lourdes. Du moins jusqu’à maintenant, car le Conseil fédéral vient de proposer une refonte profonde du droit pénal fiscal, qui abrogerait en particulier cette prohibition. Par ailleurs, le même Conseil fédéral entend faire voter un dispositif qui permettrait aux banques nationales de satisfaire les Etats-Unis, c’est-à-dire de lever le secret… sans enfreindre la loi. Dire que ces projets ne font pas l’unanimité relève de l’euphémisme. Le secret suisse agonise, certes. Mais ses défenseurs ne renonceront pas à l’acharnement thérapeutique.

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