La Bourse en mai

La Bourse en mai

Les Boursiers ne sont pas superstitieux, mais ils ne négligent jamais leur horoscope. Si bien qu’en mai, ils sont tous aux aguets. Car les tarots statistiques démontrent que le mois de mai est très souvent celui des plus hauts de l’année. Ce qui rend les opérateurs nerveux dès la première giboulée de printemps.

Sous les effets des caprices climatiques, les dictons météorologiques perdent de leur caractère prophétique. Encore que tous ne soient pas altérés : « Mai frileux, an langoureux » prétend la sagesse populaire. C’est aussi ce qu’anticipent les prévisionnistes de l’économie : une langueur qui pourrait bien perdurer jusqu’en mai 2014. Voire plus longtemps encore, si manque d’affinités du consommateur avec ses pulsions dépensières ordinaires. Qu’en est-il en Bourse ? Le comportement des milieux financiers est supposé constituer le meilleur baromètre qui soit de l’activité future. Avec ses variations saisonnières : « Sell in may and go away », dit-on sur les marchés américains. Soit en substance : « En mai, prends l’oseille et tire-toi ». Car les statistiques sont formelles quant à la saisonnalité du cycle boursier : la phase d’optimisme apparaît régulièrement à la fin du printemps, puis cède le pas à la morosité d’été, elle-même précédant la déprime automnale. Avant que les frimas d’hiver ne viennent revigorer le moral des opérateurs et doper le cours des valeurs.

Nul ne saurait aujourd’hui, avec des arguments rationnels, motiver la récurrence des humeurs boursières. Les saisons de la finance ont pourtant été assez nettement marquées sur les dernières années ; la question qui se pose à tous est de savoir si l’insolente santé actuelle des Bourses correspond à un sommet printanier, qui sera bientôt compromis par les réticences estivales. Ou si les marchés sont promis à de nouvelles envolées – le nôtre, en particulier, déclaré « en retard » sur ses grands homologues internationaux, au motif que le CAC 40 se trouve encore très loin des plus haut historiques (6168 en 2007, 6944 en 2000), qui ont tous deux… précédé un krach.

La loi du robinet à liquidités

Les gestionnaires disposent d’un argument de poids pour justifier leur allant : en cette période d’annonce des résultats, les bénéfices des grandes entreprises se révèlent, dans l’ensemble, conformes ou supérieurs aux attentes – et en hausse. Il en résulte que le revenu par le dividende excède nettement le coupon des obligations souveraines, lequel étalonne le rendement réputé « sans risque ». Toutefois, les firmes se montrent plus circonspectes sur le climat de l’exercice en cours, et donc sur les profits qui pourront en résulter, en phase avec les perspectives médiocres de l’activité dans les pays industriels, à l’exception notable du Japon. Mais un tel contexte entretient paradoxalement l’entrain des opérateurs : tant que la conjoncture se maintient en basses eaux, les banques centrales sont encouragées à poursuivre leurs politiques très accommodantes. Et donc continuent de déverser des flots de liquidités à prix soldé. De l’argent qui ne trouve qu’un emploi modéré dans l’économie réelle : les entreprises se montrent logiquement réticentes à investir, et les banques très sélectives dans la délivrance de crédits. Restent donc les marchés financiers, c’est-à-dire la spéculation.

Dans leurs préconisations d’investissement, les grands gestionnaires tiennent pourtant des propos mesurés et adoptent une stratégie prudente : tous sont conscients du fait que l’effervescence boursière résulte principalement de politiques monétaires excessivement généreuses. Lesquelles ne peuvent durer éternellement, même si elles sont en œuvre depuis le début de la crise financière. S’ils parviennent à leur objectif – relancer l’activité -, les banquiers centraux se montreront alors plus restrictifs et relèveront les taux. Le virage promet d’être difficile à négocier et potentiellement explosif pour les indices boursiers : c’est le risque inhérent à des stratégies monétaires objectivement téméraires. Certes, aucun dommage majeur n’est encore apparu avec la multiplication des mesures « non conventionnelles », bien que le recours massif à la planche à billets provoque ordinairement un hard landing des monnaies considérées, et par contrecoup une forte hausse de l’indice général des prix. Au cas d’espèce, la vague déflationniste est tellement puissante que même une création monétaire outrancière n’a pas déclenché une inflation généralisée, une situation comparable à celle du Japon pendant plus de vingt ans.

Mais en supposant que les foyers de déprime s’éteignent, que se passera-t-il quand les banques centrales fermeront le robinet du torrent de liquidités ? Réponse : probablement la même chose que lors d’un grave incendie. Lorsque ce dernier est circonscrit, on constate que les dégâts les plus graves ne résultent pas du feu, mais de l’eau qui a permis de le vaincre. Une perspective que les opérateurs boursiers redoutent bien plus qu’une tornade, une pandémie, ou même un conflit d’envergure. Pour preuve, la dernière intervention publique de Ben Bernanke, président de la Fed américaine, a alternativement soufflé le chaud et le froid sur le capital d’espérances des investisseurs. Après avoir souligné les risques d’une interruption « prématurée » de la politique monétaire actuelle, laissant accroire que sa bienveillance se poursuivrait jusqu’aux calendes grecques, Bernanke a instillé le doute dans l’esprit des opérateurs, en suggérant l’hypothèse d’interventions plus « sélectives » de la Banque, c’est-à-dire d’une possible diminution de la perfusion de liquidités. Son prédécesseur Alan Greenspan n’était probablement pas plus talentueux que lui - ni moins ignorant, si l’on préfère ; mais il était autrement habile dans l’ambiguïté du discours, que même les décodeurs du Pentagone ne sont jamais parvenus à déchiffrer. Au cas d’espèce, tout le monde a compris que Ben ne sait pas vraiment où il en est. Il aura ainsi suffi d’une mauvaise prévision sur la croissance chinoise pour que le Nikkei, qui a gagné 60% en six mois, décroche brutalement. Il convient désormais de surveiller le marché obligataire japonais : s’il décroche, il y aura du sang sur les murs. Et le mois de mai aura tenu ses promesses.

Visuel : Photos Libres

deconnecte