La Fed change de cap

La Fed change de cap

Pour le plus grand désarroi des milieux financiers, la Banque fédérale américaine vient d’annoncer le terme prochain de sa politique généreuse. Au motif que la croissance va prendre le relais. Les boursiers se montrent sceptiques et craignent que la fête ne soit finie. Avec en vue la hausse des taux et la chute des actions.

On ne peut pas vraiment passer toute la vie à faire la nouba. Il faut bien à un moment « retirer le bol de punch », pour reprendre l’expression familière aux Yankees, afin de prévenir les embarras d’une ivresse collective et les dommages de l’exubérance irrationnelle. Telle est la décision que vient d’annoncer Ben Bernanke, qui préside aux destinées de la Fed américaine pour quelques mois encore – sans certitude d’être reconduit dans ses fonctions au cas où il en émettrait le souhait. Il est donc maintenant question de modérer, avant de les interrompre, les interventions massives de la Banque centrale sur le marché de la dette américaine : la Fed rachète pour 85 milliards de dollars de bons du Trésor US chaque mois, facilitant ainsi l’intendance d’un Etat fédéral impécunieux. Et entretenant la bamboche sur les marchés financiers, qui s’abreuvent sans retenue à cette fontaine de liquidités. La politique d’irrigation monétaire massive est destinée à soutenir ou relancer une activité économique poussive. Au moins en théorie. Encore que les plus récentes statistiques semblent suggérer un redémarrage de la machine américaine, ce pourquoi la Fed projette de retirer progressivement ses béquilles. Les marchés ne paraissent pas vraiment convaincus du retour à l’embellie économique, mais ils savent que si l’argent devient plus rare et plus cher, le business spéculatif s’en trouvera sérieusement affecté.

La Fed est depuis longtemps sensible aux intérêts de Wall Street et peu suspecte de cultiver une stricte orthodoxie : la statut particulier du dollar lui épargne la retenue qui s’impose à ses consœurs étrangères. Si bien que depuis la fin de l’ère Volcker (1979-1987), où la Fed prit des mesures radicales pour mettre un terme aux dérives inflationnistes (on se souvient que les taux directeurs furent portés jusqu’à 20%), l’Institution s’est continument montrée bienveillante dans sa politique monétaire. Tant sous la longue gouvernance d’Alan Greenspan, qui s’est achevée par le feu d’artifices des subprime, que sous celle de son successeur Ben Bernanke, qui a industrialisé la pratique de la planche à billets. Non sans susciter des résistances de plus en plus vigoureuses au sein du board de la Banque : l’histoire enseigne qu’une création monétaire excessive finit toujours par provoquer des dommages fâcheux. Parmi lesquels des krachs boursiers suivis d’une forte récession – soit le contraire de ce qu’une politique « accommodante » est censée favoriser.

La finance fragilisée

Aucun opérateur boursier ne peut ignorer qu’un épisode d’argent abondant et gratuit ne peut pas durer. Mais ces conditions optimales provoquent une addiction dans la sphère spéculative, qui anesthésie les réflexes de prudence et laisse accroire qu’il sera toujours temps de changer son fusil d’épaule avant que le vent ne tourne. On le sait : dans les faits, la grande majorité des opérateurs se font piéger dans les retournements de marché. Petits porteurs comme grands comptes : ce pourquoi il y a tout lieu de se montrer inquiet face à l’hypothèse d’un prochain krach boursier. Car les grandes banques, dont les ratios de solvabilité sont déjà peu glorieux, tirent aujourd’hui l’essentiel de leurs résultats de la tambouille, à compte propre, de leurs salles de marchés. Ce n’est donc pas tout-à-fait par hasard si les Etats-membres de l’Union européenne essaient de mettre en place des procédures de sauvegarde en cas de faillite bancaire : il est désormais clair qu’à l’avenir, tout établissement en difficulté devra faire appel à ses actionnaires, à ses créanciers et à… ses déposants, pour se recapitaliser. Le parapluie public, c’est terminé.

Au cas présent, et pour revenir à la situation américaine, la question est de savoir si la reprise économique est bien réelle, et susceptible de se substituer au soutien apporté par les énormes perfusions de la Fed. Il n’est pas interdit de le croire, mais il est également permis de se montrer circonspect. Car les coupes sombres dans le budget fédéral auront nécessairement un effet dépressif sur l’activité. Et la situation des grandes villes n’est, dans l’ensemble, pas florissante. Même si toutes ne sont pas au stade de Detroit, acculée au défaut sur une dette de 15 milliards de dollars.

Parallèlement, la moindre intervention de la Fed sur la dette américaine pourrait accroître les difficultés de financement des Etats-Unis, et peser sur les taux d’intérêt. Car le plus gros acheteur de T-bonds US, la Chine, est contraint de mettre de l’ordre dans son système bancaire. La Banque centrale chinoise ne cesse de rehausser le niveau des réserves obligatoires des banques afin de freiner la distribution de crédit. Car le financement des entreprises s’opère assez souvent sur la base de critères plus politiques que techniques ; les collectivités locales se sont endettées dans des proportions inquiétantes ; la spéculation immobilière se poursuit de façon effrénée, en dépit de mesures de « refroidissement » plus ou moins rigoureuses. A ce jour, le taux du marché interbancaire dépasse 12%. La limitation du crédit sur le marché officiel favorise le recours à la « banque informelle », échappant à la réglementation bien qu’ayant un lien avéré avec le système bancaire patenté. Si bien que l’encours de crédit continue de gonfler, avec une masse de créances douteuses bien supérieure aux provisions comptabilisées. Selon l’Agence Fitch, citée par le quotidien Les Echos, « le modèle de croissance tiré par le crédit est clairement en train de s’effondrer ». Pékin n’a pas tiré la leçon des égarements américains en matière de crédit. L’addition promet d’être salée.

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