La Troïka perd son attelag

La Troïka perd son attelage

Dans un rapport récent, le FMI se dit responsable d’une erreur de calcul dans le plan de « sauvetage » grec. Mais il accuse l’Europe d’avoir foiré le dossier. Maîtresse des destinées souveraines, la Troïka affiche ses dissensions internes. Avant que le FMI ne joue à Ponce Pilate dans le nouveau drame grec à venir.

Voilà ce qui arrive lorsqu’un dogme s’est imposé et qu’il produit d’inévitables dommages collatéraux : naissent alors des courants baptisés hérétiques. Qui sans remettre en cause les fondements du dogme, en défendent une interprétation et des pratiques différentes. L’Europe chrétienne connut en son temps de nombreuses vagues d’hérésie, que l’Eglise de Rome réprima par l’action judiciaire de l’Inquisition et le bras armé des nations-très-catholiques. La République des soviets, ainsi que ses sœurs en évangiles collectivistes, usèrent et abusèrent du commissaire politique, du camp de concentration et du nœud coulant, pour exorciser les velléités déviationnistes. Dans un cas comme dans l’autre, la brutalité répressive témoignait davantage des fragilités de la foi que de son universalité. Maintenant que les aspirations métaphysiques se concentrent sur l’économisme épicier, et que la planète entière s’est convertie à la religion du capitalisme de marché – avec des bonheurs divers -, surgissent des disputes liturgiques au sein du consistoire de ses grands-prêtres autoproclamés. Tous partagent la même furie intégriste pour pourfendre les déviants : la compassion est absente des commandements.

Mais les avis diffèrent sur le choix des voies de la rédemption : d’aucuns recommandent le knout ou le supplice de la roue ; d’autres le jugement de Dieu par largage des prévenus aux portes de l’enfer ; les derniers proposent une longue pénitence au pain sec et à l’eau, dans l’espoir de ramener les pécheurs dans la communauté des croyants. On s’en doute, quelle que soit l’option retenue, l’échec est assuré. Le combat des différentes chapelles peut alors commencer, chacune accusant les autres de pratiques démoniaques. Tel est, en gros, le spectacle que nous offrent aujourd’hui le FMI, la Commission européenne et la BCE, toutes entités constituées de membres nommés, donc dépourvus de toute légitimité démocratique, mais pourvus d’un pouvoir souverain sur la conduite des nations.

Dette grecque, acte II

Avant même la publication officielle de son rapport d’évaluation sur la gestion de la crise grecque – une « fuite » préalable ayant permis de lui donner une meilleure visibilité médiatique – le FMI se trouvait sur le devant de la scène. Pour s’y adonner à une forme inhabituelle d’autocritique, pratique popularisée sous l’ère stalinienne sans toujours permettre au repentant d’échapper à la fureur du bourreau. Au cas d’espèce, le Fonds confirme la ligne dessinée depuis l’entrée en fonctions de dame Lagarde, célèbre propagandiste du concept de « ri-lance » : agir comme à l’accoutumée et défendre le contraire. Ainsi, le Fonds admet que le plan de « sauvetage » de la Grèce est un échec : le nier, reconnaissons-le, eût été hasardeux. Sa faute revendiquée relève de la simple coquille : une erreur de calcul, qui lui a fait (lourdement) sous-estimer l’impact de l’austérité sur la croissance à venir. Bon nombre d’économistes, dont votre serviteur, avaient pourtant dès le départ signifié que le « plan » en question relevait d’une rêverie à la Perrette, et qu’il était illusoire d’escompter un sursaut de l’activité dans un pays qui était saigné à blanc par une austérité assassine. Mais le Fonds désigne le vrai coupable au sein de la Troïka, responsable du scénario grec : c’est la Commission européenne. Qui aurait trop tardé à initier la restructuration de la dette hellénique, et ainsi réduit à néant l’efficacité du dispositif. Pourquoi ? Parce que l’Europe est une organisation pachydermique, soumise à d’interminables oraisons et péroraisons avant d’adopter une demi-décision. Pour le FMI, le diagnostic est clair : la stratégie adoptée pour la résolution de la crise grecque ne saurait être contestée, bien que la même potion, infligée à d’autres Etats (d’Amérique du Sud, par exemple), se soit auparavant soldée par des résultats analogues. Mais la « stratégie du choc » ne peut être mise en cause. Ce qu’il faut, au contraire, c’est effacer l’influence du politique, source d’hésitations et d’atermoiements (ce qui n’est pas faux, avouons-le…). Et remettre le pouvoir entier dans les mains des bureaucrates de la Commission, hermétiques aux états d’âme.

L’Europe a réagi, on s’en doute, à ces accusations de lourdeur et d’incompétence et fait valoir qu’elle était toujours parvenue à « des solutions solides ». Ce qui, ne lui en déplaise, n’est pas exact, comme en témoignera bientôt la nouvelle restructuration de la dette grecque, rendue indispensable par la timidité de la première. Et c’est là que la BCE, jusqu’à maintenant silencieuse dans la querelle intestine, pourrait mettre son grain de sel. Car elle détient désormais un très gros paquet de dettes grecques, que les banques commerciales lui ont prudemment refilées afin de désintoxiquer leurs propres bilans. Quand il s’agira de restructurer le papier athénien, l’ardoise devrait être salée. Car les nécessités des temps présents, ainsi que la nouvelle doctrine du FMI, plaident en faveur de la mise à contribution exclusive des créanciers. D’autant que le fameux Mécanisme Européen de Stabilité (MES) tarde à se mettre en place – France et Allemagne se sont accordées pour ne pas l’actionner avant 2015, au plus tôt. D’ici là, Grèce et Portugal auront déjà dû tirer le signal d’alarme. Et les banques portugaises sont gavées d’emprunts nationaux. Moralité : quand il faudra ramener les dettes souveraines à des proportions réellement soutenables, la décote des obligations d’Etat concernées sera spectaculaire. Le FMI annonce la couleur en se mettant en retrait du réajustement futur. Les pays européens devraient ainsi être les seuls à supporter la note. Ce sera cher.

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