Les assureurs assiégés

Les assureurs assiégés

Les compagnies d’assurance-vie ont joué la discrétion pendant que les banquiers essuyaient l’opprobre pour leur responsabilité dans la crise financière. Mais l’actualité les oblige à sortir du bois. Avec le sort des contrats en déshérence, et les projets réitérés d’alourdissement de la fiscalité de l’assurance-vie. Embarrassant.

Cela fait maintenant plusieurs années que les compagnies d’assurance-vie se montrent particulièrement discrètes dans leur communication. A la réflexion, leur subite aversion pour la réclame date, à peu près, du début de la crise financière. Il y a donc probablement un lien de cause à effet, sans que l’on sache avec certitude s’il faut invoquer une prudente parcimonie ou des motifs plus consistants. Comme la mauvaise conscience à vanter la garantie en capital, quand la planète financière est devenue un champ de mines où la sécurité est objectivement inassurable. Autant le dire crûment : dans une crise de surendettement, il ne fait pas bon être créancier. Tel est pourtant le cas des compagnies, dont les actifs sont principalement constitués d’obligations. Les encours d’assurance-vie pesaient un peu plus de 1 405 milliards d’euros à la fin du mois dernier, dont 75% environ d’actifs obligataires et monétaires. Au vu des incertitudes qui planent sur bon nombre de signatures souveraines, on suppose que les assureurs ne dorment plus que d’un œil depuis pas mal de temps. Et l’on comprend qu’ils évitent les projecteurs de la publicité.

Ils vont pourtant devoir abandonner l’humble silence dans lequel ils se sont confinés, à la faveur de deux dossiers qui les concernent directement. Le premier est celui des contrats dits « en déshérence », ceux dont les assurés sont décédés sans que l’événement ait été porté à la connaissance de la compagnie, et donc sans que les bénéficiaires aient fait valoir leurs droits. Selon la Cour des comptes, la cagnotte en cause représentait 2,76 milliards d’euros en 2011, ce qui n’est pas tout-à-fait négligeable. D’autant que ces contrats ne bénéficient d’aucune revalorisation à compter de leur échéance normale. Il en résulte que les assureurs sont suspects de mettre peu d’entrain à rechercher activement les bénéficiaires concernés, ce dont ils se défendent avec la dernière énergie – et dans l’ensemble, leur bonne foi est crédible, car ils sont plus actifs en la matière que la plupart de leurs homologues européens. Certains semblent toutefois ignorer la loi du 17 décembre 2007, qui leur impose des obligations de recherche pour les contrats non réclamés. C’est pourquoi la Cour suggère que ces derniers soient transférés à la Caisse des Dépôts et Consignations, dix ans après leur échéance ou le décès de l’assuré. Le projet a de bonnes chances d’aboutir, quand les parties concernées auront discuté le bout de gras des modalités pratiques.

La convoitise de Bercy

Le deuxième dossier auquel les compagnies vont devoir se frotter est autrement préoccupant : c’est celui de la fiscalité de l’assurance-vie. Le sujet est dans l’air depuis pas mal de temps et prend de l’ampleur à la mesure des besoins du Trésor : les sommes en cause constituent un gisement appétissant. Sur la base des participations bénéficiaires attribuées l’année dernière, les contrats d’assurance-vie ont généré une quarantaine de milliards d’euros de produits pour les assurés, donc une recette généreuse si ces sommes étaient soumises à l’impôt sur le revenu – hypothèse initialement évoquée, avant d’être abandonnée face à la levée de boucliers. Mais l’idée d’un alourdissement de la fiscalité fait son chemin, notamment pour les « gros contrats », accusés d’offrir un havre fiscal douillet aux contribuables les plus fortunés. L’observation est pertinente, mais les dénonciateurs ont la mémoire courte : le régime de faveur a été délibérément mis en place par le législateur, au temps où les compagnies assuraient l’essentiel du financement de l’Etat. Tel n’est plus le cas aujourd’hui, où la dette nationale est principalement détenue par des investisseurs étrangers. Ce qui explique la suggestion du rapport Berger-Lefebvre : l’introduction d’une nouvelle contrainte pour bénéficier du régime en vigueur. A savoir l’affectation d’une partie des capitaux au financement des entreprises, désormais plus problématique que le financement de l’Etat lui-même. Pourquoi pas, en effet. Sauf que ce dispositif serait également applicable aux contrats anciens, mettant ainsi en cause les règles du jeu initiales. Bonjour la confiance dans les engagements de l’Etat…

Mais un autre volet a été ouvert dans les propositions de réforme, à l’initiative du rapporteur général du Budget, Christian Eckert (PS). Il s’agirait de modifier le régime en vigueur en matière de droits de succession, pour les capitaux payés en exécution d’un contrat d’assurance. On sait que ceux souscrits avant le 20 novembre 1991, pour les primes versées avant le 13 octobre 1998, bénéficient d’une totale exonération de droits. Depuis lors, des limitations ont été apportées selon l’âge de l’assuré au moment du versement des primes. Mais dans le cas général, chaque bénéficiaire dispose d’un abattement significatif (152 500 euros), avant taxation au taux de 20% (et de 25% au-delà de 902 838 euros). Une imposition beaucoup plus douce que le barème général des successions, où les taux maxima s’échelonnent entre 40% (ligne directe) et 60% (au-delà du 4ème degré de parenté et entre non-parents). Les contrats ayant une vocation successorale ne font pas l’objet d’études statistiques ; mais il est permis de penser qu’ils pèsent très lourd dans les encours des compagnies. Cela signifie qu’il convient, pour le gouvernement, de se montrer précautionneux dans tout toilettage du dispositif. Car une brutale remise en cause des avantages successoraux pourrait occasionner le rachat de (très) « gros contrats » et déstabiliser le portefeuille des assureurs, tout en décourageant les nouvelles souscriptions. En cette période délicate pour la finance, ce serait jouer avec le feu.

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