Zone euro : sauvetage à la Pyrrhus


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27 juillet 2011

Commentateurs et marchés financiers ont salué, dans le soulagement, le « plan de sauvetage » européen de la Grèce. Lequel sauve surtout le système financier, qui gagne un peu de répit avant que ne soit officialisée la banqueroute d’Athènes. S’engage ainsi un processus dans lequel les Etats les plus solides vont se trouver inexorablement fragilisés.

A observer les développements du psychodrame européen autour de la dette grecque, on songe immanquablement au spectacle de marionnettes. Au Guignol, dont le fil dramatique est convenu et connu de tous – sauf des personnages eux-mêmes. Le gendarme est au fond de la scène et, en dépit des avertissements enthousiastes de la salle, les candidats à la bastonnade n’échapperont pas à leur destin. Tout le talent des marionnettistes consiste à repousser autant que possible le moment-clef : celui de la raclée. On ne sait, au cas d’espèce, s’il faut attribuer l’exceptionnelle longueur de la pièce au brio des acteurs ou à l’indécision du scénariste. En tout cas, la conclusion définitive se fait attendre et la victime subit des bourrades successives qui la font chanceler sans la terrasser. Comme si la maréchaussée financière craignait les dommages collatéraux d’un assaut décisif.

Au baisser de rideau de cet acte intermédiaire, il en résulte une situation que la presse, bon public, a saluée comme témoignant du « sauvetage de la Grèce ». De quoi le pays a-t-il été sauvé, au juste ? Du risque de devoir apostasier, faute d’autre issue, son intégration dans un système où il n’avait objectivement pas sa place lorsqu’il a été admis au club. Et dont l’exclusion, volontaire ou forcée, entraînerait des conséquences bien plus dramatiques pour les autres membres que pour les Grecs eux-mêmes. Dans le cas de ces derniers, la messe est dite depuis déjà pas mal de temps. Les conditionnalités du « sauvetage » leur ont imposé de vendre leur souveraineté, pour ne pas dire leur âme. Ils ont dû endosser la tunique du forçat pour conserver leur citoyenneté européenne, sauf à être relégués au rang de « métèques » – au sens que lui donnait la Grèce antique. Ce qui a été sauvé dans cette affaire, au moins provisoirement, c’est le système financier. Le dispositif qui a été arrêté permet de retarder la reconnaissance officielle de cette évidence : que la Grèce ne peut et ne pourra jamais rembourser ses dettes, quand bien même ces dernières seraient-elles étalées sur les sept fois sept générations d’Hellènes à venir. Mais en attendant, considérées comme saines, les créances correspondantes peuvent continuer de farder les bilans bancaires.

Un répit

Il serait toutefois injuste de nier le pas accompli dans le sens de la solidarité européenne. Même s’il est difficile de parler de « cadeau » à la Grèce, le principe d’un soutien automatique a été acquis au travers du fonds dit de solidarité, qui pourra être actionné en cas de besoin, sans qu’il soit obligatoire de réunir le conseil de famille et de s’exposer ainsi à d’interminables discussions de marchands de tapis. En tout cas, il faut bien se rendre à l’évidence : la réduction du taux des encours allège certes la facture annuelle d’Athènes. Mais elle maintient l’enveloppe de sa dette au même montant, quand bien même l’Union s’est-elle engagée à racheter une partie des encours existants, quand bien même les banques ont-elles accepté de faire rouler une partie des emprunts à des conditions non usuraires, quand bien même les durées d’amortissement auraient-elles été repoussées aux calendes grecques, quand bien même les échéances de la facilité mise en place par l’UE seraient-elles renvoyées à des jours meilleurs.

L’esprit qui ressort de ce sommet, c’est la volonté obstinée de poursuivre dans le déni de réalité. En faisant comme s’il était possible de venir à bout de la montagne de dettes qui a été édifiée, par la seule vertu de la sueur et des larmes. Il en résulte que l’Union a réaffirmé haut et fort son intention de poursuivre et d’intensifier les politiques dites d’austérité, afin de ramener prestement les déficits publics sous la toise magique des 3% du PIB. Les uns et les autres eussent été mieux inspirés de s’attacher à cet objectif en des temps, pas si lointains, où la croissance mondiale rendait l’exercice possible, sans gros sacrifices. Aujourd’hui, de telles ambitions contraignent les populations à une purge sévère, sans aucune garantie que l’objectif soit atteint, ni que les citoyens concernés supportent l’épreuve sans être tentés de ruer dans les brancards. Prudemment, la déclaration finale précise que « la Grèce appelle une solution exceptionnelle et bien spécifique ». Pas d’extrapolation hasardeuse à d’autres candidats potentiels, donc, même s’il est affirmé que l’Irlande et le Portugal bénéficieront des mêmes taux et modalités de remboursement que la Grèce (dans le cadre du Fonds européen de stabilité financière, FESF). Il est toutefois déjà inscrit dans les astres que de nouvelles alertes résonneront bientôt, tant pour les Etats susmentionnés que pour d’autres, plus importants en taille et donc plus difficiles à ranimer. La stratégie suivie par l’UE a ainsi pour effet potentiel de contraindre un nombre de plus en plus réduit de ses membres, réputés sains, à soutenir un nombre de plus en plus élevé de partenaires déclarés malades. Tout cela pour épargner au système financier la douleur d’une restructuration qui s’impose, tant en termes de comptabilité que de bon sens. De ce fait, le secours apporté à la Grèce ressemble à un sauvetage à la Pyrrhus : on ramène Athènes à bord, au risque de faire chavirer la barque commune. Gare à la houle…


Jean-Jacques Jugie