L’hyperbole de la casserole


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31 août 2011

Ce n’est sans doute pas un hasard si l’aventure libyenne a été baptisée « Aube de l’Odyssée » par la coalition d’assaillants. Les entreprises guerrières remplacent aujourd’hui avantageusement les séries télévisées ou les émissions de « variétés » d’autrefois. Surtout lorsqu’elles se drapent dans la morale universelle, c’est-à-dire la nôtre, qui constitue désormais une solide base jurisprudentielle au sulfureux droit d’ingérence. En foi de quoi les médias doivent-ils mettre en scène la vilénie indécrottable de l’ennemi : les correspondants de guerre deviennent ainsi les acteurs consentants d’une propagande de bastringue. Car hélas pour eux, aucun n’égale Homère dans le génie inventif, ni dans l’hyperbole dramatique, ni dans le style épique. Si bien que les faits rapportés sont à ce point burlesques que le plus farouche détracteur de Kadhafi finit par éprouver de l’affection pour le dictateur déchu, et une suspicion irrépressible à l’égard de ceux qui l’ont délogé. Certes, la propagande est une arme de guerre aussi importante que les canons ; mais elle s’exerce d’ordinaire à l’encontre de ceux que l’on veut vaincre. Au cas d’espèce, c’est l’opinion publique occidentale que l’on veut convaincre, avec des arguments tellement rustiques qu’ils se couvrent de ridicule.

Voilà peu, c’était des « containers » de viagra que le monstre luxurieux avait fait livrer à ses troupes, afin qu’elles violassent sans relâche les rebelles, leurs femmes, leurs chèvres et leur dignité. C’était en pleine « affaire DSK », qui rendait le public sensible à la question. Chaque jour, on découvre des injustices ou des exactions habillées en crimes odieux, qui condamnent un régime dont l’atrocité avait depuis quarante ans échappé à la vigilance des censeurs. Le pompon du cancan grotesque revient ce jour au quotidien Le Monde, qui reprend une « information » de CNN, en titrant : « La gouvernante des enfants d’Hannibal Kadhafi brûlée vive ». On est glacé d’horreur, bien sûr. Mais à la lecture de l’article, on découvre que c’est la victime en personne qui narre les faits : sa patronne lui a jeté une casserole d’eau bouillante à la tête. Et donc infligé des brûlures, ce qui est sans aucun doute cruel et condamnable. Mais « brûler vif » signifie « faire brûler quelqu’un alors qu’il est encore vivant », comme Jeanne d’Arc l’a appris à ses dépens. C’est la première fois, dans l’histoire de la narration guerrière, qu’il y a confusion entre l’épreuve du bûcher et le supplice de la casserole. Même Homère, qui pourtant ne manquait pas d’audace littéraire, n’aurait jamais osé ce massacre hyperbolique de la langue. Il est à craindre que nous ne vivions pas l’aube de l’Odyssée, mais plutôt le crépuscule de la crédibilité des médias.

La recette du jour

Thé au bûcher

Vous êtes un seigneur du désert opulent et un peu excentrique, respecté pour votre œuvre politique mais redouté pour vos foucades à la Caligula : vous êtes devenu une écharde dans la bienpensance dominante. Ne prenez pas le thé en public. Car les journaux titreront aussitôt : « Le tyran des sables brûle vive sa théière ». Vous serez déconsidéré. Et la presse aussi.


Jean-Jacques Jugie