L’humour des Nobel


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13 octobre 2011

Et le sixième jour, épuisé par ses nominations précédentes, le Jury boucle le palmarès sur une petite facétie : le Nobel d’Economie. Les arbitres de l’élégance intellectuelle se sont vraiment lâchés cette année. Ils ont récompensé les travaux de deux professeurs américains qui ont consacré leur longue vie à une controverse capitale en économie : « la cause et l’effet ». En d’autres termes, les chercheurs ont traqué les effets éventuels, sur l’économie, des politiques économiques et monétaires. Depuis le temps que les gouvernements et les banquiers centraux prétendent piloter l’économie, il devenait en effet urgent que la science validât la pertinence de ces ambitions. Encore que le Jury n’ait pas précisé si les lauréats avaient découvert un lien de conditionnalité entre la cause et l’effet, là où Nietzsche ne voyait qu’un « morcellement arbitraire ». En tout cas, le Comité a déclaré que « les outils qu’ils ont développés sont essentiels pour l’analyse économique ». Donc essentiels pour la compréhension des méthodes de compréhension des phénomènes économiques, dont l’enchaînement déjoue régulièrement les prévisions des économistes eux-mêmes. Face au gouffre de l’inconnaissable, les récents Nobélisés ont donc accompli un grand pas en avant.

Mais le Jury n’est pour autant pas dupe de l’ésotérisme des distinctions qu’il attribue. Dans un élan d’espièglerie de collégien, il a attribué le Nobel d’Economie à un Sims, arbitrairement prénommé Christopher. Vous connaissez les Sims : ce sont les personnages virtuels d’un jeu qui simule la vie et qui a conquis des millions d’adeptes dans le monde. Pour les enfants, c’est un clone parfait du jeu pour adultes appelé science économique. Dans lequel des chercheurs, domiciliés dans les universités réelles, inventent le quotidien d’un personnage appelé homo œconomicus, un double virtuel de l’homo sapiens. Par convention, cette créature adopte un comportement rationnel, condition nécessaire et suffisante pour que les causes produisent des effets prévisibles. Autant dire que l’œconomicus ressemble autant au sapiens qu’une vessie à la lanterne. Mais bon, un jeu est un jeu. Le seul ennui est que les accros à ce divertissement finissent par confondre leur monde imaginaire avec la réalité. Et pour peu que les Nobel s’amusent à leur décerner un hochet, voilà que les nominés se mettent à vaticiner. Voyez notre Sims : fraîchement lesté d’un paquet de dollars, qu’il avoue ne pas savoir où placer, il offre à l’Europe la « solution facile » pour sortir de la crise de la dette. Laquelle ? Le fédéralisme budgétaire, bien sûr. Celui qui est consubstantiel à la Constitution américaine de 1787, laquelle a fait naître ce merveilleux paradis que sont les Etats-Unis. Un Eden virtuel qui ne connaît pas de crise de la dette, ni aucune crise que ce soit, d’ailleurs. Grâce à quoi le pays produit presque tous les Nobel d’Economie. Merci Christopher !

La recette du jour

Galette au Nobel

Vous avez enfin compris que notre monde est imprévisible et que la tartine tombe toujours du côté de la confiture : vous êtes un grand économiste en puissance. Investissez à fond dans le Sims et faites vivre une société sur des critères rationnels. C’est-à-dire américains. Vous pourrez décrocher le Nobel. Assorti d’une gratification rondelette, payable en dollars. Pas en simflouz.

[Merci à Michèle H. pour avoir attiré l’attention du billettiste sur le Sims, jeu populaire dont il ignorait jusqu’alors l’existence. Ce qui le prive du Nobel à perpétuité…]


Jean-Jacques Jugie