USA et finance quantique


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14 octobre 2011

Ce que l’on aime le plus, chez les Américains, c’est leur raffinement légendaire et leur bonne foi inébranlable. Et il ne faut pas croire que la notoriété, la fortune et les stigmates de l’âge viennent altérer ces dispositions remarquables, qui n’ont eu leur équivalent dans le monde que sous la Russie de Brejnev. Voyez par exemple Warren Buffet, baptisé « l’oracle d’Omaha » pour ses prophéties de maquignon, appréciées dans la capitale de l’élevage bovin du Nebraska. Des talents grâce auxquels il a constitué la première fortune américaine d’investisseur : il est crédité d’une cinquantaine de milliards de dollars, bien qu’ayant annoncé voilà plusieurs années avoir apporté 90% de ses actifs à la fondation de son pote Bill Gates. C’est ça aussi, l’Amérique : vous donnez vos milliards aux œuvres caritatives mais vous les conservez. Les Etats-Unis ont inventé l’industrie financière quantique : comme le chat de Schrödinger, l’argent est à plusieurs endroits en même temps, et surtout pas là où vous croyez qu’il est. Voilà pourquoi lorsque surgissent des difficultés, les épargnants se rendent compte qu’ils ont confié leurs économies à des illusionnistes de la quatrième dimension.

Ainsi donc Buffet, chaussé de ses gros sabots d’éleveur prospère, nous ressort son numéro de privilégié-malgré-lui. Pas fier pour un sou que « nous, les riches, ayons gagné la lutte des classes  », comme il aime le rappeler avec la rouerie pateline d’un Raminagrobis de la finance. Et il démontre son altruisme en réclamant la hausse de l’imposition des revenus pour les super-nantis. Ce à quoi le Wall Street Journal (WSJ), propriété d’un autre mécène octogénaire nommé Murdoch, a rétorqué vertement : comment demeurer très riche si les impôts augmentent ? Bien vrai, Rupert. Mais notre Buffet a suivi l’injonction du WSJ – enfin presque : il n’a pas publié sa déclaration fiscale mais en a dévoilé les grandes lignes, par lettre à un parlementaire. L’année dernière, ses revenus bruts s’élevaient à 62.8 millions, son imposable à 39.8 et ses impôts à 6.9. Et la presse de reprendre, avec un ensemble touchant, le cri de détresse de Buffet : il ne paie que 17.3% d’impôt sur le revenu, moins que sa secrétaire. Oh, Warren, c’est sympa de votre part de vous indigner de la sorte. Mais votre calcul est erroné : selon l’arithmétique française, votre taux d’imposition est un peu inférieur à… 11% de vos revenus réels. Dommage que ne figure pas dans vos aveux le montant des déductions, réductions, finasseries fiscales et autres bidouillages légaux qui vous ont permis de diminuer votre imposable de… 23 millions de dollars, et de ramener votre impôt bien en deçà des 35% de la tranche marginale. Il suffisait de vous passer de votre conseiller fiscal, Warren, pour laisser votre conscience en paix. Et de suivre la rigoureuse ligne de conduite de Marx (Groucho) : « Je ne pourrai jamais adhérer à un club qui accepte les gens de ma sorte  ».

La recette du jour

Investissement caritatif

Voilà des lustres que vous piochez en solitaire dans le pot de miel, pendant que vos concitoyens s’adonnent à la saccharine. C’est normal : vous avez gagné la lutte des classes. Mais vous craignez que le match-retour ne renverse la donne. Il est temps d’offrir des graines de betterave sucrière à vos opposants. Qu’ils les sèment près de vos ruches : vos abeilles raffolent du pistil de navet que négligent les fleurs de nave.


Jean-Jacques Jugie