L’art de la photo et le respect de l’image des biens


Droit


26 octobre 2011

Tout comme celle des personnes [1], l’image des biens est protégée. Si le droit à l’image appartient au propriétaire, ce droit n’est pas exclusif. La jurisprudence a évolué : elle exige désormais un trouble certain, consécutif à la diffusion d’une photo.

Suite à différentes affaires à propos de photographies d’immeubles, la jurisprudence a peu à peu développé un droit à l’image des biens. Cette notion, relativement récente, est construite à partir de l’article 544 du Code Civil, selon lequel : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Ce droit appartient donc aux propriétaires et non aux locataires.

Dans un premier temps, la jurisprudence a jugé que le propriétaire d’un bien avait seul le droit de permettre l’exploitation de l’image de celui-ci. Dans une décision du 10 mars 1999, la Cour de cassation avait fait droit à la demande du propriétaire du « Café Gondrée »- le premier bâtiment libéré par les Alliés en 1944-, qui s’opposait à l’exploitation commerciale d’une carte postale. La Cour d’appel de Caen avait rejeté sa demande, la photo étant prise depuis le domaine public.

Le propriétaire n’avait donc pas à prouver son préjudice, ce qui avait laissé une grande brèche ouverte pour les propriétaires, au détriment des photographes.

La Cour de Cassation a ensuite nuancé sa position, en précisant que le propriétaire d’un bien ne peut s’opposer à l’exploitation de l’image de celui-ci si cette exploitation ne cause aucun trouble à son droit d’usage ou de jouissance. En l’espèce [2], le procès avait été intenté par le propriétaire d’un îlot en Bretagne, sur lequel est édifié une maison typique coincée entre deux rochers. Le Comité régional de tourisme de Bretagne avait utilisé un cliché de la maison pour la promotion touristique de la région ; le droit de reproduction ayant été obtenu auprès d’un photographe professionnel. La SCI propriétaire s’y était opposée, revendiquant son droit absolu de propriété et arguant que l’utilisation portait atteinte aux habitants de l’îlot. Restant dans la lignée de l’arrêt de 1999, la Cour d’appel lui avait donné gain de cause. Mais la Cour de Cassation a opéré un revirement.
Ainsi, l’exploitation commerciale de l’image d’un bien n’est plus suffisante pour constituer une atteinte au droit de jouissance, il faut établir la preuve qu’elle cause un trouble.

Trouble anormal

Enfin, l’assemblée plénière de la Cour de Cassation a tranché la question, le 7 mai 2004, en précisant que « le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal ». Dans cette affaire, les promoteurs d’un immeuble en construction à Rouen avait diffusé une brochure promotionnelle dans laquelle figurait une photo de « l’Hôtel de Girancourt », proche du chantier et classé monument historique, afin de vanter l’environnement de la future résidence. Les propriétaires de l’hôtel particulier, estimant que la publication de cette photo pouvait laisser supposer que leur bien était commercialisable, ont saisi la justice. Ils ont été déboutés : la Cour a considéré qu’aucun trouble anormal n’était établi dans cette affaire.

Le trouble doit donc être présent et actuel. L’usage dévalorisant de l’image d’un bien est constitutif d’un trouble anormal. Ainsi, par exemple , l’utilisation, sans l’accord d’un fabricant de médicaments génériques, d’une photo de l’un de ses panneaux publicitaires dégradés, aux fins d’illustrer « le déclin de l’empire pharmaceutique », suivie d’une autre photo montrant, par contraste, les bureaux feutrés d’une société concurrente, cause un trouble anormal au propriétaire de la première société.


Blandine POIDEVIN, avocat aux barreaux de Lille et (...)