L’alphabet de la finance


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15 novembre 2011

Que vaut une jeune entreprise promise à des lendemains enchanteurs ? La réponse est assez simple : tout dépend du calcul de l’enchantement. Lequel résulte souvent d’extrapolations hardies, autrement appelées plans sur la comète ou statistiques à la Perrette – celle dont la chute du pot-au-lait provoqua la noyade de veaux, vaches, cochons et couvées. Cela dit, les professionnels du capital-développement maîtrisent assez bien ce type de prospective et ne se trompent que dans une proportion raisonnable : suffisamment pour ne pas être accusés de sorcellerie, mais pas assez pour se ruiner. C’est qu’ils diversifient leur risque : une seule réussite suffit à gommer quatre ou cinq échecs. Mais s’il s’agit de mettre beaucoup de billes sur un seul dossier, la démarche est un peu plus compliquée. Voilà pourquoi les analystes triturent en ce moment leur boule de cristal statistique pour tenter de chiffrer le potentiel de valorisation de deux nouveaux « modèles » économiques : Groupon, le site de commerce électronique à gros rabais, récemment introduit en Bourse, et Facebook, le célèbre « réseau social » qui envisage sa cotation prochaine.

Personne ne peut oublier la douloureuse saga des dot.com, ces start-up de la « nouvelle économie » que les investisseurs s’arrachèrent à plus de 100 fois les pertes, avant de perdre leurs espérances et tout leur argent. Si bien que les chercheurs de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich ont planché sur le sujet et livré leurs conclusions, comme le révèle Le Temps de ce jour : le chiffre d’affaires de ces entreprises évolue selon une courbe en « S ». C’est-à-dire dont la progression est initialement exponentielle puis bornée par un plateau asymptotique. En d’autres termes, les chercheurs zurichois viennent de formaliser un vieux précepte boursier, selon lequel les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. En foi de quoi estiment-ils que le cours de Groupon est déjà trop optimiste et que celui envisagé pour Facebook est tout simplement délirant. Ce que confirme le bon sens, s’il nous est permis de donner un avis. Ainsi peut-on observer que l’alphabet illustre nombre de phénomènes économiques : la courbe en « W » pour le « double dip », une récession à rechutes qui décrit fidèlement les temps présents ; la courbe en « J », forme que prendrait la balance courante grecque si Athènes pouvait dévaluer. Ce qui n’est pas (encore) le cas : si bien que son endettement épousera la courbe en « S », caractéristique de l’obsession esthétique du grand sculpteur grec Praxitèle, notez-le bien, mais aussi de la bienveillance des créanciers, laquelle présente une limite asymptotique infranchissable. Puis viendra un nouveau modèle, non encore exploité, pour décrire le moral des ménages grecs : la courbe en « êta minuscule ». Une vive angoisse suivie d’une bouffée de soulagement, puis la déprime interminable.

La recette du jour

Déprime scientifique

Le comportement humain est dicté par son cerveau et le fonctionnement du cerveau résulte d’un processus chimique. Adoptez le langage scientifique approprié. Ne dites plus : mon fils est caractériel et il m’use les nerfs. Dites plutôt : mon mouflet dérive en double dip exponentiel ; j’aimerais trouver une asymptote à ma déprime avant de sombrer dans l’êta minuscule. Vous n’irez pas mieux, mais ça se verra moins.


Jean-Jacques Jugie