Le royaume pour un cheval


Blog


23 novembre 2011

Les historiens et anthropologues du futur pourront sans doute comprendre les temps anciens en étudiant l’évolution du secteur automobile. C’est un miroir assez fidèle des aspirations de nos sociétés. Convenons-en : l’automobile a apporté à l’individu la liberté d’un déplacement rapide et confortable, sans avoir besoin de changer d’attelage toutes les vingt lieues. L’automobile a compressé le temps et raccourci les distances. Elle a conféré à son propriétaire un brevet d’opulence et de modernité, exclusif aux origines, puis généralisé grâce à la magie productiviste de l’industrie de masse. Après les luxueuses berlines françaises d’avant-guerre, qui témoignaient du raffinement élitiste de la culture hexagonale, les « belles américaines » ont pris le relais comme objet de désir et comme reflet de l’american way of life, cette philosophie qui a érigé le consumérisme au rang de métaphysique. Puis est venue l’ère allemande, toujours présente, symbolisant la bagnole technologiquement sûre, quasiment inusable et au look classique et indémodable. Une métaphore à quatre roues des convictions teutonnes que l’ingéniosité asiatique, en dépit de ses succès remarquables, ne parvient pas à détrôner. Seulement voilà : le marché de la voiture arrive à un carrefour dangereux. Il n’est pas infiniment extensible, limité par la solvabilité des clients potentiels encore nombreux, contraint par les lois physiques de l’espace qui produisent les insupportables bouchons de circulation, et bridé par les considérations environnementales qui commandent de mettre la pédale douce sur des machines qui polluent bien davantage qu’un élevage de chevaux (ceux qui ont quatre pattes).

A ce stade de notre évolution, il est permis d’être dérouté par le statut qui continue d’être accordé à la bagnole : un objet de reconnaissance sociale, dont le coût (individuel et collectif) est prohibitif par rapport aux services objectifs qu’il apporte. Ce qui a incité certains grands constructeurs à investir du gros argent sur les véhicules low coast, sortes de triporteurs spartiates à quatre roues, qui soient accessibles aux petits budgets et aux écolos patentés. L’expérience menée en ce sens par l’Indien Tata n’est guère concluante ; les succès de Renault demeurent mitigés : ses Dacia sont encore trop chères. Voilà pourquoi le constructeur français ambitionne de monter une chaîne susceptible de produire des voitures au prix d’un scooter, censément destinées aux clients « émergents » impécunieux. Et aux autres, si affinités. A n’en pas douter, il devrait y avoir chez nous des affinités. Dictées par les contraintes de l’économie domestique. Avant que cheminer à dos d’âne ne devienne le signe distinctif de la reconnaissance sociale, et la possession d’un cheval le nec plus ultra de la prospérité.

La recette du jour

Low coast au quotidien

Les contraintes des temps vous imposent de réduire la voilure. Soyez inventif. Pour votre logement, bâtissez une hutte avec des cageots à légumes. Pour vos déplacements, adaptez sur votre bicyclette le moteur de votre robot ménager. Pour votre alimentation, remplacez le labrador par un bœuf bonzaï dont la bouse chauffera votre foyer. Vous deviendrez riche, moderne et respecté.


Jean-Jacques Jugie