Le prix de la valeur


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16 décembre 2011

C’est drôlement compliqué, la fixation des salaires. On ne manque pourtant pas de théories sur la valeur-travail, mais elles sont pour la plupart incompréhensibles. Ce que l’on conçoit mal s’énonce obscurément, et les mots pour le dire s’envolent aisément : tel était, à peu de chose près, l’avis de Boileau, qui ayant passé son temps à brocarder ses contemporains, est resté toute sa vie indifférent à la question salariale. Dommage : faute de pouvoir être calculé de façon indiscutable, le salaire fait l’objet de chipotages incessants entre celui qui le reçoit et celui qui le verse. Et plus le salaire est mince, plus les négociations sont ardues, en contradiction formelle avec les règles élémentaires de l’économie de marché. Voyez par exemple le staff des grandes entreprises : les rémunérations ne cessent de s’envoler, selon l’Insee, alors qu’elles étaient déjà pharaoniques. Pour les autres, la tentation serait plutôt de les abaisser. Alors bien sûr, la loi s’est emparée du sujet et elle prétend protéger le salarié en fixant le prix du travail. Mais ne vous avisez pas de payer quelqu’un sans l’employer, ce qui est pourtant la meilleure façon d’éviter les conflits avec les salariés qui glandent toute la journée. Car la fictivité de l’emploi est un délit, et vous n’échapperez à la prison que si vous êtes très âgé, malentendant et un peu brinquebalant du yaourt. Va comprendre, Charles.

Le statut le plus confortable revient à ceux qui votent la loi qui fixe les salaires. Jamais, par exemple, vous ne verrez les députés en grève pour exiger une augmentation. Ni une diminution, d’ailleurs : que l’un d’entre eux se hasarde à proposer un chouïa de modération salariale, pour compatir symboliquement avec l’ascèse du pékin, et voilà que le syndicat des élus lui tombe dessus. D’autres pays ont résolu autrement cette question épineuse. En Australie, la fixation du salaire des élus revient à une commission de la rémunération publique, aussi indépendante que celle qui établit le traitement du haut-encadrement des grandes entreprises. Avec un surcroît d’indépendance qui l’honore, ladite commission vient de proposer d’augmenter fortement le salaire du premier ministre, pour le porter à… 481.000 dollars australiens (368.000 euros), un niveau qui n’est pas jugé « déraisonnable  » par les commissionnaires. Mais qui le sera peut-être par les citoyens australiens, lesquels créditent en ce moment dame Julia Gillard, la bénéficiaire, de son record d’impopularité. Ce précédent pourrait inspirer quelques grands dirigeants qui essuient en ce moment une tempête de désamour. A qui pense-t-on ? Mais à Obama, bien sûr. Car l’Oncle Sam gratifie chichement le président : l’équivalent de 303.000 euros par an. D’accord : pour la qualité de sa prestation, c’est peut-être encore trop bien payé. Mais là réside le nœud de l’ambiguïté : aucune règle n’impose la proportionnalité entre salaire et travail accompli. On vous avait prévenu : l’affaire est compliquée…

La recette du jour

Salaire et commission

Vous estimez que votre employeur ne paie pas votre travail à sa juste valeur. Vous avez peut-être raison. Ou peut-être pas. En tous cas, personne ne pourra trancher la question avec précision. Prenez votre destin en main et acceptez le poste de premier ministre australien. Puis saisissez la commission des rémunérations pour étalonner votre valeur au prix que vous estimez. Ce n’est pas plus compliqué.


Jean-Jacques Jugie