Supplique au Père Noël


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21 décembre 2011

Bon, il est l’heure de s’apprêter pour l’expédition. De chausser bottes de fourrure, endosser zibeline et coiffer chapka. Pour aller demander audience au Père Noël : par courrier, l’affaire risque d’être trop compliquée. Voilà : on aimerait que la France reçoive dans ses chaussons une réserve de Triple A. Histoire de damer le pion aux agences de notation, qui assiègent le Trésor et vont finir par le prendre au mollet. Il ne sera pas facile de plaider la cause de notre pays, qui a, dans la gestion de ses deniers, renoncé à toute sagesse depuis une bonne trentaine d’années. Mais si pour recevoir des cadeaux il fallait les mériter, cela fait belle lurette que le Père Noël aurait pris sa retraite. Le sentiment de l’urgence nous est inspiré par un article du Temps de ce jour : « La France ne peut être sauvée que si elle change de culture  ». Avec un diagnostic ainsi formulé, notre situation parait désespérée : on ne change pas de culture comme de chemise. Les Suisses ne peuvent l’ignorer, eux qui cultivent le secret bancaire et celui du fendant depuis une éternité, et n’ont absolument pas envie d’y renoncer.

En fait, le journaliste fait référence à la publication récente de La crise de la dette française, un ouvrage de Pierre Garello, fils de Jacques, tous deux économistes et tous deux épris des thèses de Friedrich Hayek, Ludwig von Mises et Frédéric Bastiat, qui à eux trois représentent un distillat non fractionnable de la pensée économique libérale. Les mêmes ont inspiré Milton Friedman, le pape des Chicago boys, cette école de pensée qui a sidéré le monde entier par son sens prussien de la nuance et sa bienveillance d’équarisseur. Entendons-nous bien : le système libéral revêt une grande cohérence et il a généré un flux considérable de richesses. Il mérite donc le respect. Mais dans son acception intégriste, il engendre quelques méchants dommages collatéraux. Que seul l’Etat-providence peut rendre supportables à ceux qui ne sont pas taillés pour la compétition sauvage. On ne sait si le journaliste du Temps cite Garello ou s’il résume, de son propre chef, la liste des droits garantis par l’Etat que les élus français « adorent allonger  ». Mais le menu mérite d’être relaté : «  droit à l’éducation, à un logement, à des études supérieures, à des congés payés, à des congés parentaux, à des soins médicaux de qualité, à une retraite, à des activités culturelles et sportives, à des voitures de qualité, à un environnement de qualité, à un revenu garanti, à des prêts à taux zéro, à une assurance des dépôts [bancaires] ». Cet inventaire à la Prévert, qui additionne chèvres et choux, ne transpire pas la bonne foi. Mais il illustre parfaitement la perception que nos voisins industrieux ont de ces satanés Français, qui agacent leurs contemporains avec leur prétention à marier l’esprit des Lumières à la machine-outil libérale. Admettons que jusqu’à ce jour, le bricolage hexagonal n’est pas un chef d’œuvre de technologie sociale. Mais il a probablement plus d’avenir que le modèle rustique du père Hayek, même s’il est en ce moment convoité par les entreprises de démolition. Cette année, on compte beaucoup sur toi, Père Noël, pour nous éclairer…

La recette du jour

Noël de crise

Même pendant les fêtes, il faut s’adapter à la crise. Une crise existentielle. Pour vos cadeaux, renoncez cette année au Monopoly, qui excite l’avidité des mouflets, ou au Trivial Pursuit, qui encourage une culture de perroquet. Emplissez les pantoufles de philosophes grecs et de théologiens chrétiens. Et bannissez les chocolats suisses, pour punir les Helvètes de leur médisance, de leur mauvaise foi et de leurs ragots de Noël.

[Le billettiste se met en vacances pour relire Aristote et Thomas d’Aquin. Joyeux Noël !]


Jean-Jacques Jugie