Confidences sur l’oreiller


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6 janvier 2012

Il y a des métiers difficiles à assumer. A cause du secret permanent qu’ils imposent. Il est interdit à un diplomate, par exemple, de raconter à ses dix meilleurs amis la teneur de ses parlotes discrètes avec les chancelleries étrangères ; interdit à un grand patron de livrer, pendant l’apéro, sa stratégie pour déstabiliser la concurrence ; interdit à un général d’armée de dévoiler ses plans de campagne ; interdit à un espion de se découvrir, même auprès de son épouse légitime. Encore que les bons espions demeurent célibataires. Voyez Bond, James Bond : jamais marié, en dépit de son intérêt avéré pour les très jolies femmes, et une collection de conquêtes à faire pâlir de jalousie les play-boys professionnels. Eh bien, il ne révèle rien à sa maîtresse du jour, alors qu’il pourrait s’y laisser aller sans danger : aucune n’a, jusqu’à maintenant, survécu à sa mission du moment. Mesdames, il faut vous méfier des espions, surtout s’ils sont beaux garçons.

Tel n’est pas le cas du directeur actuel de la Banque centrale suisse : il n’espionne personne, que l’on sache, ni n’éblouit qui que ce soit par un joli minois. Il est donc marié. Sans doute a-t-il ressenti le besoin de se faire mousser auprès de son épouse : il lui a raconté, voilà quelque temps, que la BNS envisageait de bloquer l’envolée du franc et de défendre bec et ongles une parité plus humble contre les grandes monnaies. Aussi sec, la pécore échangeait un paquet de devise locale contre 500.000 dollars américains. Sur le compte de son époux, de surcroît, l’imprudent lui ayant accordé une procuration. On ne sait qui a cafté, mais l’affaire a fini par transpirer, donnant des sueurs froides à l’austère finance calviniste. L’histoire ne dit pas ce qui a le plus bouleversé les milieux bancaires : la vulgarité de la dame ou les indiscrétions coupables de son mari. Ce dernier a tenté, hier, de se justifier publiquement avec des arguments à la graisse de cabestan ; il a protesté de sa bonne foi avec une sincérité de faux-monnayeur et n’entend pas donner sa démission pour une peccadille aussi vénielle. A titre de contrition, il a versé la plus-value (confortable) de l’opération sulfureuse sur le compte d’une association caritative. Bon, on ne voudrait pas se mêler de ce qui ne nous regarde pas, monsieur le Directeur de la Banque nationale ; mais à notre avis, les Suisses ne peuvent pas vous accorder l’absolution. Pas pour avoir exploité une information secrète : le délit d’initié est le b.a ba de la finance, tout le monde sait ça ; pas pour avoir livré au public une histoire à dormir debout : tout le monde le fait, on y est habitué ; pas pour avoir épousé la Thénardier : il est bon que la femme soit soucieuse des deniers communs. Mais il est strictement prohibé de mettre en péril la respectabilité de son mari banquier. Comme l’a écrit John le Carré, qui s’y connaît en espionnage et en culture helvétique, « en Suisse, il est interdit de suspendre le linge aux fenêtres ». Surtout le linge sale.

La recette du jour

Le secret du secret

Votre métier vous expose sans cesse à la détention de secrets. Le plus embêtant, avec un secret, c’est de ne pouvoir le révéler. Si vous êtes sujet à l’indiscrétion, renoncez à tout copinage ainsi qu’au mariage : l’amitié et l’oreiller sont les plus grands traitres de la création. Si vous êtes catholique, renoncez également à la confession : les voies du Seigneur sont impénétrables, mais les murs ont des oreilles.


Jean-Jacques Jugie