Les initiés à découvert


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10 janvier 2012

Vous voudrez bien nous pardonner d’être un peu pressé aujourd’hui : un déplacement impromptu à Berlin, pour se rendre à une audience avec Angela Merkel. Il ne s’agit pas d’aller lui déclarer notre flamme, encore que la Chancelière soit devenue bigrement plus séduisante. Figurez-vous qu’hier, l’Allemagne a levé un peu d’argent sur les marchés, dans une banale opération de refinancement à court terme (6 mois). Et savez-vous à quel taux elle a emprunté ? Mieux que gratis : les bons se sont arrachés à un rendement nominal… négatif : -0.12%. Voilà pourquoi on est heureux d’aller présenter nos vœux à la dame : avec le cliché officiel de l’accolade, témoignant de la solvabilité sans faille de votre serviteur, aucun banquier ne résistera au désir de nous prêter quelques milliards, assortis d’une prime de remboursement. On songeait justement à acquérir Arcelor-Mittal, qui rencontre apparemment quelques sérieux revers avec sa filiale algérienne, bien que le propriétaire démente toute intention d’en déposer le bilan. Mais le cours du démenti est en forte baisse à la Bourse de la sincérité. Voyez par exemple le directeur de la Banque nationale suisse : la semaine dernière, il affirmait avoir conservé la confiance de l’institution, en dépit du soupçon de recel d’information d’initié. Eh bien, il a quand même dû lâcher le manche, comme on l’avait pronostiqué ici.

Pourquoi donc les banquiers acceptent-ils de prêter à l’Allemagne dans des conditions aussi absurdes ? L’explication la plus bidonnante nous est offerte par l’AFP, qui voit là « le signe de la soif de sécurité des investisseurs, qui choisissent d’encourir des pertes pour investir en titres allemands  ». Selon cette analyse qui témoigne plutôt de la soif de son auteur pour le pur malt, les principes de gestion bancaire ont drôlement évolué : mieux vaudrait maintenant investir avec la certitude de perdre, plutôt que de ne (presque) rien gagner en laissant son magot à la BCE. Autant affirmer que désormais, ce sont les œufs qui pondent les poules. On ne sait comment justifier cette adjudication atypique (mais pas unique : le même événement s’est produit le mois dernier aux Pays-Bas) : peut-être les banques sont-elles fermement encouragées à acquérir un certain quota d’emprunts souverains, et se jettent-elles sur ceux qui sont supposés les moins sulfureux. Accepter de perdre un peu pour ne pas risquer de perdre beaucoup. Ce n’est qu’une hypothèse, que l’on espère être la bonne. Car on peut aussi imaginer que les investisseurs comptent réaliser une bonne affaire en achetant à perte du papier allemand : ce serait une façon de stocker des créances libellées en « bon » euro, dans la perspective d’un éclatement de la Zone monétaire. Faut-il les soupçonner de délit d’initié ?

La recette du jour

Le pari (financier) de Pascal

Vous connaissez la boutade qui circulait lors de la Grande crise : « Si vous voyez un banquier sauter par la fenêtre, suivez-le : c’est qu’il y a de l’argent à gagner ». Rien n’a changé. Raisonnez avec l’avenir de votre argent comme Pascal avec celui de son âme : si vous voyez un banquier investir à perte, imitez-le. Vous n’êtes pas certain de vous enrichir. Mais si vous ne faites rien, vous êtes totalement assuré de vous ruiner.


Jean-Jacques Jugie