Le crépuscule des Lumière(s)


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18 janvier 2012

Ce ne sont pas les critiques de cinéma qu’il faut interroger pour expliquer le succès de certains films. Du reste, comme on a pu le constater assez souvent, ils sont rarement de notre avis : ils se pâment devant des films qui nous assomment et assassinent ceux qui nous ont réjoui. Mais ils se montrent discrets quand un titre draine des foules considérables, et c’est bien dommage : pour une fois, on pourrait partager la même moue de dépit. En fait, il faudrait plutôt convoquer ethnologues et anthropologues pour comprendre les énormes succès du box-office. Qui ordinairement ne brillent ni par la subtilité du scénario, ni par l’excellence de l’image, ni par les performances d’acteurs. Mais répondent plutôt aux attentes diffuses du plus grand nombre : l’histoire anesthésie leur mauvaise conscience ou leur perfuse une dose massive de bons sentiments. Reconnaissons-le : l’une des facettes de la magie du cinéma, c’est de pouvoir transformer les vessies en lanternes. Longtemps après les premiers bricolages des frères Lumière, c’est de pouvoir pratiquer le déni de réalité avec la mauvaise foi appropriée. Dans d’autres domaines, cette méthode de séduction s’appelle la démagogie.

On est heureux pour l’acteur français que les jurés couvrent d’oscars, pour sa performance dans The Artist, la coqueluche du moment dans les salles obscures. Le billettiste n’ayant pas visionné l’œuvre, il s’abstiendra de livrer ici son commentaire en négatif. Mais il est permis de s’étonner qu’au temps de l’image numérique en trois dimensions, assortie de couleurs à faire pâlir d’envie les peintres du quattrocento, magnifiée par une bande son en quadriphonie, la foule plébiscite un film en noir et blanc, projeté à la taille d’une carte postale et muet comme une carpe de vase. C’est que l’histoire explore les états d’âme d’un acteur du muet confronté à l’émergence du cinéma parlant. Un monde se meurt et les lois darwiniennes de l’évolution ne l’ont pas encore doté de son équipement de survie. Faut-il voir dans ce scénario une allégorie de l’angoisse qui étreint les peuples un peu partout sur la planète ? Un système est en train de disparaître et son agonie ouvre sur l’inconnu. Au point de faire regretter amèrement la douceur des temps anciens, qui pourtant n’ont pas été exempts de violentes critiques. Nous sommes en train de sortir de l’ère du noir et blanc sans que quiconque connaisse encore le cinémascope social à venir. Pas même les ténors de la politique, qui seraient bien inspirés de plagier The Artist  : en s’obligeant au mutisme, ils auraient plus de chances de gagner un oscar qu’en caquetant en vain comme des poules sans pratique.

La recette du jour

Le marché de la nostalgie

Vous avez compris que tout le monde a compris qu’il faut maintenant comprendre que la fête est finie. Il faut éteindre les lampions et ramasser les confettis. Ouvrez un estaminet chauffé à la tourbe et éclairé à la bougie ; servez un brouet rustique arrosé de piquette diurétique. Et comme voiturier, engagez un palefrenier. Vous cultiverez la nostalgie de temps où la vie était dure, mais personne ne le savait.


Jean-Jacques Jugie