Le syndrome du lérot


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24 janvier 2012

287 milliards d’euros. Tel est le montant de « l’épargne de précaution » que les Français détenaient, en fin d’année dernière, sur leurs Livret A et autres Livrets de Développement Durable (les anciens Codevi, rebaptisés LDD pour donner une touche hallucinogène à nos petites économies). Le chiffre impressionne, dès lors que nous pourrions quasiment gommer la dette grecque en renonçant à nos noisettes. Ce serait témoigner une reconnaissance légitime à un pays qui nous a offert le raffinement de la philosophie antique, sans laquelle nous en serions encore à poursuivre les sangliers et à redouter que le ciel ne nous tombe sur la tête. I faut toutefois reconnaître que la Grèce moderne a cessé d’éblouir le monde par ses prouesses intellectuelles : elle n’exporte plus aujourd’hui que sa gastronomie, ce qui est le meilleur moyen de se faire partout des ennemis (on préfère poursuivre les sangliers que se laisser rattraper par les mezzés). Mais revenons à nos biffetons. La conjoncture n’étant pas florissante, et son avenir guère plus prometteur, il est permis de penser que le Français a adopté le reflexe immémorial du lérot : si vous le voyez stocker des monceaux de réserves à l’automne, c’est que l’hiver sera rude.

Le comportement du loir n’a strictement aucune incidence sur la météo. Tout au plus peut-on le créditer de facultés prémonitoires, sans qu’il ait besoin de prendre du LSD pour savoir s’il doit abonder son LDD. Il n’en va pas de même avec le sapiens : la façon dont il utilise ses sous emporte une influence déterminante sur le climat économique à venir. C’est ce que l’on appelle les anticipations autoréalisatrices  : plus il y a de gens pour croire que le ciel va nous tomber sur la tête, plus il y a de chances que cela se produise. En d’autres termes, si le pékin thésaurise au lieu de dépenser, il accentue la déprime redoutée. Encore que cette parcimonie ne nuise pas à tout le monde. Depuis que les banques ont été autorisées à distribuer le Livret A, le cash qui en résulte arrange bien leurs bidons, pour coller aux exigences sécuritaires du paquet Bâle III. Voilà pourquoi, contre toute attente, vous êtes incité à gonfler vos livrets plutôt que de laisser dormir vos deniers. L’obsession de l’argent permet ainsi de calmer les angoisses métaphysiques du moment. Dans un sens, c’est plutôt rassurant. Car le vrai désespoir suscite d’autres attentes. Puisque la Grèce continue de focaliser l’attention, on songe aux massacres que ce pays endura après sa déclaration d’indépendance. Et au poème dans lequel le père Hugo demande à l’enfant grec, effondré face au désastre, comment dissiper ses « chagrins nébuleux ». Pour être gâchée à la truelle du romantisme hugolien, la réponse n’en conserve pas moins son actualité : « Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus/Je veux de la poudre et des balles  ».

La recette du jour

Noisettes à l’auvergnate

Comme d’autres élèvent une grenouille pour anticiper la météo, vous avez choisi d’observer votre loir, au lieu de scruter les entrailles des poulets de Bercy. Si l’animal a stocké comme un Auvergnat, faites comme lui. Mais pas en gonflant vos multiples livrets. Collectionnez plutôt de vraies noisettes : en purée, elles sont beaucoup plus nourrissantes qu’un brouet de billets.


Jean-Jacques Jugie