Sur la Montagne magique


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26 janvier 2012

Aller au forum de Davos, c’est remettre les pieds dans le monde d’avant. Un monde rassurant dans lequel le calendrier vous dit que c’est l’hiver à la fin janvier : avec plus d’un mètre de neige au bas des pistes, Davos est épargnée par la douceur inhabituelle du climat en cette saison, partout ailleurs dans le monde dit civilisé. Une sorte d’automne indien que l’on doit aux crachouillis de votre pot d’échappement (selon les syndicats de la bienpensance), à la mutation des grenouilles barométriques face au risque nucléaire iranien (selon la police américaine), ou à la prodigalité grecque (selon l’Olympe des marchés financiers). Enfin, quel qu’en soit le motif, on se rend bien compte que les choses ne sont pas comme elles devraient l’être. Même à Davos, figurez-vous, où des absences ont été remarquées. Celle de Ben Bernanke, en particulier, le patron de la Banque centrale américaine. Faire Davos sans le plus grand argentier de la planète, c’est un peu comme fêter les Rois sans galette. Mais Ben a préféré pérorer devant ses concitoyens, pour leur expliquer la nouvelle politique de la FED, qui va se caractériser par la transparence. Juste ciel ! Si la FED devient transparente, alors oui, Sire, c’est une révolution.

Pour retrouver un peu de sérénité dans la confusion généralisée, le gotha du business et de la politique avait besoin de revenir aux fondamentaux. C’est pourquoi le Forum a exhumé de sa préretraite une star incontestée de la finance aventureuse : George Soros, celui qui fit en son temps une grosse pelote en ferraillant victorieusement contre la Banque d’Angleterre. Et qui depuis soigne sa mauvaise conscience en finançant des œuvres plus ou moins désintéressées. Sa parole devient un tantinet hésitante et son jugement mâtiné de sophistique : selon lui, le problème du moment, c’est que « les banques font de gros profits sans risque  ». Pas d’accord, George. Le risque est énorme. Mais ce ne sont pas les banques qui le supportent. Heureusement, pour rester dans une tonalité orthodoxe, le discours introductif du Forum a été confié à l’Allemagne, championne de l’industrie de précision et de la discipline de trouffion. Dame Merkel est la dernière héritière du Grand Siècle français, tout imprégnée de la philosophie du Laboureur de La Fontaine : travaillez, prenez de la peine, a-t-elle dit. Produisez beaucoup, épargnez d’abondance et ne conduisez vos créanciers au bûcher que si vous y êtes expressément obligé. Lorsque la Chancelière escalade la Montagne magique, elle n’est manifestement pas soumise aux mêmes tourments métaphysiques que Thomas Mann. Au point que sa démonstration de bon sens aurait inquiété les participants au Forum plus qu’elle ne les a rassurés. Nous vivons vraiment la fin d’une époque : même le pragmatisme teuton perd de sa magie.

La recette du jour

La glisse sans risque

Au cœur de l’hiver, vous appréciez les joies reposantes du ski pour vous préparer aux rigueurs du printemps. Choisissez Davos : la neige est au rendez-vous. Elle est un peu coûteuse, certes, mais elle est aseptisée : c’est de la neige suisse. Evitez toutefois la fin janvier. Vous risquez de mauvaises rencontres. Pas sur les pistes, mais au bar : la conversation ne glisse que sur l’argent. C’est éreintant.


Jean-Jacques Jugie