Le prix du secret


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3 février 2012

Il y a sûrement de bonnes raisons, avouables ou non, pour que les Etats cadenassent une bonne partie des archives de guerre sous le secret-défense. Privant ainsi les historiens d’un précieux matériel brut, ce qui les oblige à se transformer en détectives ou en romanciers. Avec des bonheurs divers. Mais de telles pratiques permettent de vérifier l’adage selon lequel l’histoire est écrite par les vainqueurs. Cette manie du secret sur le passé n’est pas sans conséquences sur le présent. Voyez les Grecs, par exemple. Ils ont perpétué de longue date leurs obsessions cachotières, au point que l’on se saura jamais si la guerre de Troie a vraiment eu lieu, quoi qu’en aient dit Homère et Giraudoux réunis. Et à force de tenir secret l’état véritable de ses finances, Athènes a laissé entrer dans ses écuries le cheval de la dette, qui boulotte les réserves d’avoine de la population tout entière. C’est malin. Selon quoi la pratique systématique du secret-défense apporte plus de dommages que d’avantages. Les Américains en font en ce moment l’amère expérience, après avoir déclassifié quelques cartons d’archives de la Deuxième guerre.

Tout le monde, ou presque, avait oublié le sort du Port Nicholson, un navire de guerre coulé en 1942, comme tant d’autres, par un sous-marin allemand. Sauf que celui-ci transportait le paiement trébuchant d’une livraison d’armes à l’Urss par les Etats-Unis. Du pain bénit pour les pêcheurs d’épaves, dont l’un d’entre eux vient de localiser le trésor. Les cales du navire contiendraient un joli monticule de lingots de platine et d’or, confirmant ce que l’on soupçonnait : déjà à l’époque, l’armement coûtait bonbon. En valeur actuelle, il y en aurait pour 3 milliards de dollars. Suffisamment pour aiguiser l’appétit de tous ceux qui ont été partie prenante à l’affaire. Le Port Nicholson était un navire anglais, ce que les avocats de Londres ne manqueront pas d’invoquer pour revendiquer leurs droits sur le bébé. Les lingots appartenaient à la Russie soviétique, qui a de ce fait payé deux fois les industriels américains ; ils étaient destinés à l’Oncle Sam et c’est dans ses eaux territoriales que l’épave a été localisée. N’oublions pas les Allemands, qui ont consenti des tombereaux de réparations pour les exactions nazies et peuvent ainsi exiger l’intégralité du boni de liquidation. Bref, il en résulte une situation complexe et explosive. Pour avoir scellé sous le secret les informations concernant un acte guerrier, les States ont soulevé un nouveau motif de conflit. Le découvreur de l’épave pourra toujours, comme la Belette de la fable, invoquer la « loi du premier occupant ». Tous les Raminagrobis du barreau planétaire vont lui tomber dessus pour lui souffler le magot. Finalement, c’est dangereux de repêcher les secrets engloutis sous les flots de l’oubli.

La recette du jour

Le Secret de La Licorne

Depuis votre petite enfance, vous êtes convaincus que pour devenir fortuné, il suffit de mettre la main sur un trésor. Attendez que les archives des Capétiens soient déclassifiées : vous pourriez découvrir la part du trésor des Templiers que Philippe le Bel n’a pas boulottée. Ou bien recherchez l’épave de La Licorne  : le capitaine Haddock ne l’a pas vraiment trouvée. C’était une fable d’Hergé.


Jean-Jacques Jugie