La métaphore du carnaval


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20 février 2012

Rio de Janeiro, 2 heures du matin. Une petite pause bienvenue : on ne se sentait pas capable de danser la samba toute la nuit, même en siphonnant des tonneaux de cerveja, cette délicieuse bière glacée qui aide à supporter une température nocturne quasi-caniculaire. Pas étonnant que l’ambiance soit chaude, ici. Il n’était pas facile de comprendre, cette année, les thèmes retenus par les écoles de danse en compétition : ce sont apparemment les œuvres d’artistes brésiliens qui ont inspiré les costumes – peintres, écrivains, musiciens. Une affaire d’initiés, en somme. Quand les festivités ont démarré, on a cru que le Carnaval avait choisi d’illustrer la Grèce : à la proue des chars qui sillonnent le circuit sont juchées de très charmantes danseuses, qui symbolisent le dénuement le plus complet. Elles sont chichement vêtues de quelques paillettes dispersées, le costume le plus rudimentaire qu’il soit possible d’inventer. Rien à voir avec le Carnaval de Venise et ses riches parures, ses dentelles, ses froufrous, et ses masques si périlleux pour l’honneur des dames : elles ne peuvent pas deviner qui se cache sous l’habit de dignité. C’est peut-être un ancien président du Conseil déchu, un faune réputé pour avoir le feu aux braies.

La tradition du carnaval doit être une mine d’enseignements pour les anthropologues. Car ces grandes liesses populaires, émaillées d’hystérie collective, sont présentes un peu partout sur la planète et remontent à la nuit des temps. La Rome antique, par exemple, avait ses jeux du cirque pour calmer l‘aigreur récurrente de la plèbe. Nous autres Français, avant l’héritage des Lumières, avions au Moyen-âge la fête des fous : pendant une journée, l’ordre de la société était renversé. Le maître devenait domestique et la gueusaille prenait le pouvoir. Le tout sous des flots de pinard pour parfaire l’illusion, car dès avant matines, les choses se remettaient à l’endroit, avec en prime la gueule de bois. A Dunkerque, le Carnaval perdure comme un vestige de l’aspiration à des bouleversements métaphoriques. A Rio, la rumeur prétend que le Carnaval est depuis longtemps financé par la mafia, notamment celle des jeux clandestins. Or, cette année, de nouveaux sponsors sont apparus, en la personne de grandes marques commerciales généralement détenues par des firmes multinationales. On ne sait s’il faut en tirer une théorie générale sur le glissement du pouvoir en terre brésilienne. Mais les non-spécialistes de la sociologie, qui peuvent se prononcer sans mettre de gants ni porter de masque, affirmeront sans doute qu’il s’agit là d’un phénomène banal dans la vie de l’espèce : qu’une mafia chasse l’autre, et les vaches à lait seront bien gardées.

La recette du jour

La raison des fous en fête

Vous êtes conscient du fait que la société ne tourne pas rond et que les chaumières bouillonnent de récriminations. Exigez le rétablissement de la moyenâgeuse fête des fous. Si vous êtes plébéien, la fiesta apaisera pour un temps vos angoisses et Alka Seltzer vos maux de crâne. Si vous avez le pouvoir, vous serez bousculé une journée pour avoir la paix tout le reste de l’année.


Jean-Jacques Jugie