Solidarité bien ordonnée


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27 février 2012

Si vous devez vous rendre à Francfort ces jours-ci, il sera prudent de prendre le train. Moins de 4 heures depuis Paris avec ICE, ce n’est pas la mer à boire. Au moins serez-vous à l’heure à vos rendez-vous, alors que si vous tentez de prendre l’avion, vous risquez de froisser la vénération teutonne pour la ponctualité. Car les grèves ont repris à l’aéroport de Francfort et les contrôleurs semblent décidés à ne pas lâcher le morceau tant que leurs revendications ne seront pas satisfaites : moins de travail et davantage de salaire. En résumé, travailler moins pour gagner plus : on croyait que seuls les Français étaient assez allumés pour tirer de tels plans sur la comète. C’est à vous décourager de diriger un pays qui continue d’afficher une santé enviable dans le concert de morosité européenne : le taux de chômage vient d’atteindre son plus bas niveau depuis la Réunification. Alors que chez nous, l’emploi ne cesse de se dégrader pendant que les Régions seraient plutôt tentées de faire sécession.

Avec un déficit public qui ne dépasse pas 1% du PIB sur l’exercice dernier, et un très gros excédent des caisses sociales – grâce à l’embellie de l’emploi –, l’Allemagne fait figure d’Ovni au sein de l’Union. Mais il ne faut pas oublier que les résultats présents sont le fruit d’une longue période de patience industrieuse et de parcimonie consensuelle. Une dizaine d’années pendant lesquelles chacun a accepté une discipline rigoureuse afin de retrouver le chemin de la compétitivité, la maître-concept du business mondialisé. Il ne faut donc pas s’étonner si les autorités berlinoises rechignent à subventionner leurs frères européens, qui faisaient la grasse matinée pendant que leurs citoyens s’usaient au turbin. Il ne faut pas davantage s’étonner si les salariés allemands commencent à se fatiguer des vertus de l’orthodoxie, et qu’ils ambitionnent de percevoir les dividendes de leurs sacrifices passés. Voilà une illustration assez éclairante des limites de la solidarité, même chez ceux qui ne sont pas nécessairement suspects de défendre un égoïsme militant, car ce sont presque toujours les mêmes qui ont besoin de l’aide des autres. Seulement voilà : en période de jeûne généralisé, il est difficile d’oublier l’adage selon lequel charité bien ordonnée commence par soi-même.

La recette du jour

Die cigale und die fourmi

Vous avez été éduqué à l’école des fourmis, celle qui honore le labeur et la parcimonie. Pendant que vous transpiriez tout l’été, les cigales moquaient votre discipline de casque à pointes, allongées à l’ombre des bougainvilliers. Maintenant que la bise est venue, elles viennent forcer la porte de votre garde-à-manger. Vous venez de découvrir que la solidarité bien ordonnée commence par les autres.


Jean-Jacques Jugie