Nouveau jeu : l’Euromilliards


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28 février 2012

On comprend mieux maintenant pourquoi les négociations entre la Grèce et ses « créanciers privés » ont été aussi longues. Pour finalement aboutir à un accord qui ressemble à tout ce que l’on veut, sauf à une réponse crédible au surendettement du pays. L’objectif poursuivi est lui-même burlesque : ramener la dette à 120% du PIB en 2020, quand tous les autres Etats de la Zone, moins mal en point que la Grèce, sont sommés de retourner au plus tôt vers la limite « légale » de 60%. Sous peine d’être mis au piquet sur les marchés financiers. Il en résulte, le plus naturellement du monde, que Standard & Poor’s vient de dégrader Athènes dans la catégorie « défaut partiel », qui est l’équivalent de l’antichambre de la morgue pour un grand malade. Comme si des médecins malveillants ponctionnaient les dernières économies du patient en soins palliatifs illusoires, lui tenaient la main pour signer un testament léonin et prélevaient ses dents en or pour financer les funérailles. Même les Wisigoths se montraient moins barbares dans leurs expéditions.

Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Bien que le pays soit raclé jusqu’à l’os et que ses ressources soient hypothéquées jusqu’aux calendes locales, nul ne peut exclure qu’il finisse par se relever un jour ou l’autre. Plutôt l’autre, convenons-en, car le scénario est hautement improbable. Mais pas impossible. Il fallait donc aux créanciers prendre une option gagnante sur un hypothétique retour à meilleure fortune. En foi de quoi vont-ils recevoir un paquet de warrants sur… la croissance du PIB grec à compter de 2015. Dans l’hypothèse où ladite croissance se révèlerait supérieure aux prévisions du FMI, bingo ! Les warrants en cause rapporteront le gros lot à leurs heureux détenteurs. En d’autres termes, même si par miracle les Grecs parvenaient à se sortir du bourbier, ils ne verraient pas la couleur des profits surnuméraires. Une mise en esclavage sans espoir d’être un jour affranchi. Ce dispositif n’est pas totalement novateur : il a déjà été utilisé lors du défaut de l’Argentine en 2005 et les porteurs de warrants ont depuis lors fait une grosse pelote, grâce au redressement rapide du pays – contre toute attente. Sauf que l’Argentine avait sabré les trois-quarts de sa dette, contre à peine plus de la moitié dans le dossier grec. Et que le pays avait retrouvé sa souveraineté monétaire, ce qui n’est pas le cas d’Athènes. On ne voudrait pas faire de la peine aux banquiers qui jouent à l’Euromilliards, mais on veut bien parier, à dix contre un, que leurs tickets resteront sans valeur. A perpétuité.

La recette du jour

Jouer pour mieux souffler

Vos affaires ont été désastreuses et vous êtes complètement lessivé. Mais vos créanciers vous harcèlent et ne peuvent pas admettre de se faire éponger, sous peine de sacrifier leur propre solvabilité. Profitez de leur pusillanimité. Renégociez votre dette et assortissez-la d’une loterie. Vous n’arriverez pas à vous refaire, mais vous gagnerez quelques mois de répit. Ou peut-être moins.


Jean-Jacques Jugie