La menace du phoque


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29 février 2012

Manger ou être mangé. Telle est la loi de la Nature à laquelle les humains n’ont aucune difficulté à adhérer. Nous passons à la casserole à-peu-près tout ce qui bouge, avec pour seule limite à notre appétit la menace de la disparition d’une espèce. Seules peuvent échapper à notre gourmandise les bestioles qui se sont prudemment rendues vénéneuses ou simplement immangeables. Encore qu’il y ait des exceptions : les Anglais déciment des colonies entières de fish and chips. Qui est assurément un poison à long terme, mais surtout une nourriture répugnante. C’est bien la peine qu’ils conspuent la convoitise des Français pour les cuisses fuselées des grenouilles hongroises – nos batraciens ayant troqué les anabolisants pour les pesticides, ces cochonneries qui vous font des muscles de sauterelle et des trous dans l’estomac. Manger ou être mangé, la loi vaut aussi au sens figuré : une carrière réussie chez l’homo sapiens suppose de déployer l’instinct du chasseur, et de pratiquer l’anthropophagie allégorique au détriment de ses adversaires.

Ainsi, un banquet féroce devrait bientôt se tenir autour d’un projet développé par la Russie : mettre sur le marché des conserves de phoque. Pas vraiment à l’attention des Inuits, qui se montrent désormais prudents dans la consommation d’un animal qui concentre dans sa graisse tous les métaux lourds que nous déversons allègrement dans l’océan. Mais il s’avère qu’après une longue période sous statut d’espèce protégée, les phoques se sont mis à proliférer. Ce qui ne gêne pas les rares habitants des déserts de glace, mais perturbe gravement la chaîne alimentaire : leur consommation de poisson serait bien supérieure aux prélèvements de la pêche industrielle. Tel est du moins l’argument avancé. Il faut dire que le phoque commun est un gaillard de 90 kg, qui doit entretenir son thermolactyl graisseux pour se protéger des frimas : il a donc un sacré coup de fourchette. A ce titre, il est un concurrent redoutable des passionnés de fish and chips, tout autant que des amateurs de turbot sauce hollandaise. Il est donc question de lui faire la peau, dont le commerce est pourtant prohibé dans le monde entier, y compris en Russie (depuis peu de temps). Si bien que l’on peut se demander si le projet en cause ne vise pas à rétablir le négoce d’une fourrure très prisée pour ses remarquables qualités, plus que pour éviter l’épuisement des ressources halieutiques. Voilà qui nous promet une offensive internationale contre une espèce déjà combattue par les Russes eux-mêmes : les poutinidés. La chasse sera rude, car ils ont la peau dure.

La recette du jour

Conserves humanitaires

Vous êtes effaré par les ravages causés à votre potager par les nuées de criquets. L’espèce n’est pourtant pas protégée, nul n’étant ému par le massacre des locustes. Organisez méthodiquement leur capture et exploitez-en le produit : leur chair est affreusement protéinée. Mettez-la en conserve et vendez-la en Russie : vous sauverez plein de bébé phoques.


Jean-Jacques Jugie