La controverse du Chomolungma


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6 mars 2012

Contrairement à une idée répandue, la qualité des relations internationales repose sur des faits bien plus simples qu’il n’y paraît à première vue. Si vous croyez, par exemple, que les conflits en Iraq ou en Libye ont été déclenchés sur des considérations complexes liées aux ressources naturelles, vous avez tout faux. Il s’agissait tout simplement de promouvoir la démocratie, qui est une affaire autrement plus importante, et autrement plus délicate que les questions d’épicerie pétrolière. La preuve : l’Occident continue de pomper le brut de ces régions, alors que Libyens et Irakiens attendent toujours l’émergence de la démocratie. Elle émergera peut-être un jour, mais pas avant que la dernière goutte de brut ait été extraite des sables. On est confronté aux mêmes difficultés d’analyse avec la Chine, qui entretient de longue date des relations difficiles avec ses confins septentrionaux : la province tibétaine et son voisin souverain, le Népal.

On aurait pu croire que les embrouilles résultent du choc entre le matérialisme maoïste et la culture religieuse de ces territoires, du choc entre deux féodalismes inconciliables. Il n’en est rien. On exhume par hasard une dépêche de Reuters qui dévoile le fond du problème : la Chine et le Népal sont en bisbille quant à l’altitude de l’Everest (Chomolungma, en tibétain). Figurez-vous, selon les dires de l’Agence, qu’en 2005 « une équipe d’alpinistes et de scientifiques chinois avait, mètre en main, mesuré une hauteur de 8.844,43 mètres, soit 3,7 mètres de moins » que la mesure officielle de… 1954. Ce que l’on aime, dans cette information décoiffante, ce n’est pas le différentiel de mesure. Mais d’abord, la méthode utilisée : «  mètre en main  » ! On imagine une nuée d’alpinistes, chacun pourvu d’un double décamètre, arpentant les flancs de la montagne la plus élevée du monde. Une vision totalement surréaliste : de telles mesures ne se sont jamais faites avec un mètre déroulant. Ensuite, il semble bien que l’altitude d’un sommet soit sujette à des variations sensibles : moins de quatre mètres d’écart en cinquante ans, il n’y a pas vraiment pas de quoi fouetter un moine népalais. Même avec l’efficacité redoutable d’un GPS, l’incertitude du résultat serait considérée comme acceptable. Voilà pourquoi on ne versera pas un fifrelin au Népal, qui cherche des fonds pour financer une mesure précise de l’Everest : le pays a certainement un emploi plus pertinent de ses ressources. Et voilà pourquoi on n’accordera pas le Pulitzer au journaliste de Reuters qui a signé la dépêche en cause…

La recette du jour

Sécurité reutérisée

Vous envisagez depuis longtemps l’ascension de l’Everest, car il vous paraît capital de mettre un jour les pieds sur le toit du monde. Mais vous ne pouvez vous y risquer tant que son altitude exacte n’a pas été authentifiée. Offrez un GPS à Reuters et faites larguer un journaliste sur le sommet. S’il parvient à retourner à la base, vous serez enfin renseigné.


Jean-Jacques Jugie