Le calvaire des milliardaires


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8 mars 2012

Ils ont tenu parole, les journalistes de Forbes : dans le dernier numéro, celui qui publie le classement des milliardaires, vous avez pu vérifier que le billettiste n’y figure pas. On avait passé un deal avec Steve Forbes, le patron du journal : si tu ne m’inscris pas dans la liste des milliardaires, je ne dirai à personne que tu n’as plus un radis. Gagné. C’est qu’il s’est fait sacrément lessiver, le Steve, pour avoir voulu concourir deux fois aux présidentielles américaines. Il n’avait pas compris que chez l’Oncle Sam, on ne fait pas de la politique pour devenir riche, mais pour protéger une fortune déjà acquise, sans avoir à bakchicher les élus installés. La vie de milliardaire est un combat de tous les instants, voyez-vous : toutes les cigales de la création viennent chanter sous votre balcon. La moindre faiblesse et vous passez le reste de votre vie à faire des chèques au profit de causes indéfendables. Comme la lutte contre la pauvreté : s’il n’y avait plus de pauvres, ce qu’à dieu ne plaise, Forbes n’aurait plus personne à faire rêver en publiant le palmarès des riches. Vous voyez d’ici le tableau. Ridicule.

Le classement laisse tout de même planer un certain nombre d’interrogations. Pour ne pas dire de mystères. Voyez le cas de Bill Gates et de son compère Warren Buffet, partenaires de bridge à leurs moments perdus et premières fortunes américaines à plein temps. On s’était laissé dire que l’un et l’autre, touchés par la grâce, avaient fait don de l’essentiel de leurs actifs à une fondation. C’est sympa. Mais en dépit de leur donation pharaonique, ils demeurent aussi riches qu’avant. Un peu plus riches, même. Ce qui tendrait à démontrer que la générosité est joliment récompensée. A moins que les règles de la finance américaine, qui empruntent largement au bonneteau, ne permettent de comptabiliser le même argent à plusieurs endroits. Chez l’Oncle Sam, on vénère tellement la fortune et la charité que le produit d’une donation appartient au donataire, tout en restant dans les mains du donateur : la version yankee de la multiplication des pains. Une autre facétie comptable vient troubler le podium mondial de la prospérité : les calculettes de Forbes ne peuvent tenir compte de l’endettement réel des dorés sur tranche. Vu que les intéressés le planquent souvent à l’abri des regards indiscrets, lorsqu’ils donnent en garantie leurs titres de propriété. Voilà qui tendrait à corroborer la recette de la prospérité : être riche, c’est pouvoir emprunter aux banques plus d’argent que l’on ne pourra jamais rembourser.

La recette du jour

Fortune à la Forbes

Vous avez le contrôle d’une entreprise importante, grâce à votre talent, celui de vos parents, ou pour tout autre raison moins avouable. Empruntez massivement pour accroître vos possessions : vous deviendrez trop gros pour être abandonné par vos banquiers. Qui seront obligés de vous accorder de nouveaux prêts pour rembourser les anciens, sauf à avouer que vous les avez ruinés. Bien joué : vous resterez dans le classement Forbes à perpétuité.


Jean-Jacques Jugie