Pâques aux oeufs d’or


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6 avril 2012

Ce serait tellement reposant de voir respectée, cette année, la tradition plus que millénaire de la trêve pascale. Surtout chez nous, chacun aspire au calme dans la vie politique : la collision de ses sons de cloche finit par nous coller le bourdon. Un peu de paix nous permettrait de mieux accepter un fait désormais avéré : ces Pâques seront probablement les plus coûteuses de notre histoire. Non, non : la crise n’y est pour rien. Pas plus que les gelées matinales ni le premier tiers provisionnel. Autant dénoncer tout de suite le responsable : c’est la Commission européenne. Ou plus exactement la directive n°98/58/CE, qui ne vous a pas échappé lors de son adoption en 1998, mais dont vous avez oublié la mise en application fixée au 1er janvier de cette année. Le texte concerne les poules. Oui, les vraies poules, cot cot codec. Ou plus précisément leur habitat, qui depuis longtemps ne répondait pas aux normes contemporaines du logement décent.

Ainsi donc, depuis le début de l’année, nos pondeuses ont quitté leurs anciennes HLM insalubres et exiguës, opportunément dénommées « cages à poules », pour intégrer des résidences de moyen standing appelées « batteries ». Leur espace vital a ainsi augmenté de 40% pour s’établir à 750 cm2, soit un carré d’environ 27 cm de côté. Il en résulte un confort princier qui leur permet de tourner la tête sans éborgner systématiquement la voisine de palier. Enfin, en faisant attention, tout de même. Ces logements pour poules de luxe sont comparables aux appartements communautaires de la période soviétique, mais ils disposent en plus de l’eau courante à tous les étages et d’un concierge électronique qui ne lit pas le courrier avant de le distribuer. Le pied. On se doute qu’un tel chantier de rénovation a coûté les yeux de la tête aux éleveurs, qui mettront un sacré bout de temps avant d’amortir leurs investissements. Et qui supportent de surcroît une hausse spectaculaire de la pitance pour leurs pensionnaires. Tous ces travaux ont occasionné une baisse sensible de la production d’œufs, on s’en doute. Et les nouvelles normes les rendent considérablement plus coûteux. Car voyez-vous, le fait d’être désormais installées dans la soie ne rend pas les poules plus productives. Vu le prix, il est désormais plus économique de remplacer les œufs de poule par des œufs d’esturgeon. Ou bien d’élever soi-même des pondeuses : la mode s’installe dans les cités. Sachant qu’un Français consomme en moyenne 220 œufs par an, il n’est pas besoin de beaucoup d’espace pour assurer l’approvisionnement de la famille. A raison d’un œuf par jour, sauf les mois d’hiver et les jours de grève, vous pouvez aisément calculer la taille de votre poulailler. En respectant les normes européennes, vous logerez 13 poules au mètre carré. Sur ce, joyeuses Pâques !

La recette du jour

L’œuf de la fortune

Pour rien au monde vous ne priverez les enfants, à Pâques, de leur joie à chercher les œufs cachés dans le jardin. Mais cette année, la chasse au trésor coûte les yeux de la tête. Remplacez les œufs par des poules. Dès que les mouflets les auront trouvées, enfermez-les dans votre placard à balais. Vous vendrez les œufs aux voisins et, à Pâques prochaines, vous offrirez aux petits un appartement parisien.


Jean-Jacques Jugie