Le prix du patriotisme


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26 juin 2012

Pas la peine de vous planquer derrière votre bouclier : vous êtes repéré. Oh, ça devait bien arriver un jour : en matière fiscale, les espèces protégées ont une longévité moindre que celle des tortues des Galapagos. Encore que George le solitaire, dernier représentant des Geochelone Abigdoni, une branche aristocratique des Chelonoidis nigras qui vivent plus que centenaires, s’est éteint hier sur l’Ile de Pinta. C’est que l’avant-dernier représentant de l’espèce, plus tôt disparu, était lui-aussi un mâle. Et la loi naturelle galapagosienne, contrairement à celle qui prévaut désormais en Argentine, n’autorise pas le changement de sexe. Ce pauvre George ayant refusé de se compromettre avec des femelles d’espèces voisines, sa dynastie a disparu. Dura lex sed lex : la fiscalité française va désormais interdire la carapace des contribuables-tortues qui aurait, nous dit la presse avec gourmandise, coûté 735 millions à la collectivité l’année dernière. Il paraît que c’est un gros paquet d’argent. Moins que l’aide déjà accordée aux banques, certes, et beaucoup moins que celle dont elles ont encore besoin. Mais c’est encore trop maintenant que ceux « qui ont le plus » sont invités à échanger leur bouclier contre une toge de patriotisme.

Combien va nous coûter le patriotisme ? On n’en sait encore rien, vu qu’aucune information n’a filtré du séminaire gouvernemental chargé de plancher sur le sujet. La question est épineuse car le patriotisme est une valeur désuète, normalement condamnée, comme notre vieux George, par le darwinisme politique. Mais bon, dans les périodes de désordre confusionnel, il y a toujours une phase de Restauration supposée faire avancer des idées révolutionnaires. L’ennui des temps présents, c’est que la révolution en cours nous tire vers une Europe fédérale, au prétexte que la concentration politique confèrerait à des Etats décavés une meilleure solvabilité. Le patriotisme, au contraire, appelle à ranimer les valeurs nationales, dites cocardières et à ce titre malvenues, ridicules, dangereuses et en tout cas non compatibles avec la solidarité consubstantielle à une Europe fédérée. La quadrature du cercle, en somme. Bref, il semble bien que personne ne sache clairement où l’on va. Mais ce qui est certain, c’est que où que l’on aille, ça coûtera plus cher. A tout le monde, probablement.

La recette du jour

Darwin et l’impôt

Vous avez cru appartenir à une espèce protégée par votre bouclier. Mais une mutation dans la génétique fiscale va bientôt faire disparaître vos défenses naturelles. Vous pouvez maudire Darwin ou tenter de vous réfugier aux Galapagos. Mais ce serait en vain : mieux vaut sans doute tenter de vous adapter : en matière fiscale, les mutations ne sont jamais définitives.


Jean-Jacques Jugie