Les experts désacralisés


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25 octobre 2012

Vous avez vu ? Les experts du monde entier mouillent leurs braies. Ils craignent que le verdict récent du juge italien Marco Billi ne fasse jurisprudence. C’est ce juge qui a conduit le procès intenté aux membres de la Commission nationale des grands risques, tous experts patentés en sismologie et en panicologie (l’art gestionnaire de la trouille collective), et qui les a condamnés à la prison. Pour avoir distillé des propos rassurants avant le séisme majeur qui a détruit L’Aquila et occasionné de nombreuses victimes. La presse nous assure que les scientifiques sont « consternés » par le jugement, ces derniers reprenant à leur compte le seul argument de la défense : il est impossible de prévoir un séisme avec certitude. L’argument est recevable mais à double tranchant : si le sismologue ne peut affirmer que le cataclysme aura lieu, il ne peut davantage garantir qu’il n’aura pas lieu, lorsque le scientifique endosse l’habit de l’expert communicant. Seulement voilà : les spécialistes admettent que leur discipline ne soit pas une science exacte ; mais s’ils sont promus « experts », ils se croient autorisés à distiller des coquecigrues péremptoires pour conserver leur statut de sachant. Notre époque ne supporte plus le doute : l’expert doit délivrer une certitude.

Autant dire que le juge Billi vient de porter un coup fatal à la corporation des experts. Déjà, ceux qui peuplent l’armée de conseillers des cabinets ministériels mesurent leurs abatis. Ce sont eux, par exemple, qui construisent des pigeonniers invivables pour les entrepreneurs, au risque de transformer ces derniers en pigeons voyageurs. Mais les plus exposés à la jurisprudence italienne sont les économistes, qui pour être praticiens d’une science molle, très molle, n’hésitent pas pour autant à vaticiner avec componction. Dans leur immense majorité, ils n’avaient rien vu venir de la crise en cours ; dans leur immense majorité, ils continuent de prescrire des médications qui promettent des résultats identiques à ceux de la saignée des médecins de Molière. Les plus écoutés peuplent les grands organismes qui font la pluie et le beau temps (surtout la pluie) : le FMI, la Banque mondiale, la BRI et les Banques centrales. Leurs ordonnances purgatives s’imposent à tous les Etats de la planète, avec la bienveillance émouvante de l’Inquisition espagnole. Et lorsque le traitement ne produit pas les effets escomptés, on augmente la posologie. Les experts en économie sont donc autrement dangereux que leurs homologues en sismologie : comme ces derniers, ils sont impuissants à prédire la survenance des sinistres. Mais eux sont parfaitement capables de les provoquer.

La recette du jour

Expertise d’experts

Vous avez appris que les spécialistes les moins doués d’une discipline choisissent de l’enseigner. C’était autrefois. Aujourd’hui, ils deviennent experts. Ce qui les autorise à donner un avis péremptoire quand la science s’en révèle incapable. Inventez une nouvelle spécialité : l’expertise d’experts. Il suffit de vous familiariser avec une vieille discipline appelée méthodologie scientifique.


Jean-Jacques Jugie