La parabole de la coccinelle


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6 novembre 2012

Les jardiniers écolos connaissent bien les vertus potagères de la coccinelle : elle se gave de pucerons. Voilà pourquoi, au début du siècle dernier, les Américains importèrent quelques souches d’Harmonia axyridis, la bête à bon dieu asiatique. Elle fut très compétitive dans son œuvre insecticide mais présentait un handicap majeur : contrairement aux bipèdes chinois importés pour construire le réseau de chemin de fer, la coccinelle asiatique ne passait pas l’hiver. Si bien que les chimistes, qui résistent aux rigueurs climatiques, s’emparèrent avec succès de la chasse aux pucerons. Au prix de quelques dommages collatéraux pour la santé de l’espèce humaine. Ce qui décida plus tard l’Europe, nous narre Le Monde, à expérimenter à son tour la domestication de la coccinelle. Mais les tentatives de l’Inra d’acclimater l’Harmonia axyridis se révélèrent vaines et l’Institut abandonna ses recherches.

La où les scientifiques ont échoué, la coccinelle chinoise a réussi toute seule. En s’accouplant avec son homologue américaine, au mépris de la prohibition imposée par le Parti, la bestiole est parvenue à surmonter les frimas. Au point que certaines campagnes européennes se trouvent aujourd’hui envahies de colonies, qui se regroupent volontiers dans votre chambre à coucher pour passer l’hiver en toute sérénité. Les spécialistes sont encore divisés quant au caractère colonisateur des coccinelles exotiques ; il semble toutefois que par endroits, elles construisent leur chinatown, qui ne cesse de prospérer et exclut totalement la présence des autochtones. On s’en doute, les conséquences de cette hybridation sino-américaine inquiètent les milieux concernés. Qui s’interrogent sur le bien fondé d’une tendance désormais bien affirmée à l’internationalisation des prédateurs. Une pratique qui permet, certes, d’éradiquer les pucerons et ainsi d’épargner de lourdes dépenses d’insecticides. Mais qui fait naître de nouvelles espèces de coccinelles, qui cumulent la boulimie yankee et une disposition génétique très rare : elles ne souffrent pas de la « dépression de consanguinité ». Et peuvent ainsi se reproduire en famille sans s’affaiblir. Voilà ce qu’il en coûte de rechercher à tout prix à faire des économies : on génère des monstres qui peuvent braver les tabous immémoriaux sans subir de conséquences dommageables. C’est malin.

La recette du jour

Ecologie et morale

Vous êtes viscéralement opposé à l’usage de produits chimiques dans votre potager. Mais vos obsessions écologiques sont périlleuses : vous risquez d’être envahi par des coccinelles boulimiques et incestueuses. Ce qui vous obligera à élever d’horribles araignées pour les décimer. Ou à pulvériser un insecticide. Alors autant commencer par là pour éviter d’avoir à choisir entre la peste et le phylloxera.


Jean-Jacques Jugie