Négociations en acier


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26 novembre 2012

Dans l’affaire de Florange, les protagonistes sont arrivés à un stade des hostilités qui rend inéluctable le coup de force. « Nous ne voulons plus de Mittal en France » a déclaré le ministre Montebourg. Il ne s’agit pas d’un « nous » de majesté : le ministre exprime ici la position officielle du gouvernement français, confronté à des négociations avec le tycoon indien, qui a bâti sa réussite exceptionnelle en revalorisant des outils industriels acquis pour une poignée de roupies. Son secret ? « C’est très simple, j’ai remplacé les managers européens par des Indiens » a-t-il un jour déclaré. Lakshmi Mittal ne fait pas dans la dentelle mais dans l’acier : son caractère est bien trempé. Et sa puissance de feu est telle que négocier avec lui revient à accepter son ultimatum. Ou aller se faire voir chez les Grecs. Le scénario actuel est conforme à la réalité des transactions ordinaires entre un Etat et une grande firme : cette dernière a toujours l’avantage. Mais la différence, c’est que Mittal ne cherche pas à préserver les apparences ni à permettre à son interlocuteur de sauver la face ; il avance comme un laminoir.

Florange devient ainsi un symbole puissant des contradictions qui assaillent nos sociétés. Et qui demeureront pendantes tant que l’on refusera de soumettre à la critique quelques dogmes consensuels. Notamment celui de la finalité de l’entreprise, ce qui reviendrait à exhumer de vieux débats, pudiquement étouffés, sur le sens de la propriété. Des thèmes aussi chauds qu’une coulée de métal, si bien que le ministre se montre prudemment offensif en brandissant l’arme de la nationalisation : celle-ci serait « transitoire ». Pas question donc, pour la France, de réhabiliter les soviets, un concept qui fait pâlir les créanciers. Pourtant, les marchés ne sont jamais insensibles aux perspectives de nationalisation. Les actionnaires qui ne sont pas nés d’hier se souviennent sans doute de celles initiées sous l’ère mitterrandienne. Personne ne peut sérieusement les accuser d’avoir spolié les intérêts privés… De ce fait, la stratégie de Mittal est peut-être plus cynique encore que l’on croit : pousser le gouvernement français dans ses derniers retranchements. Et l’obliger à acquérir des actifs industriels qui sont aujourd’hui un boulet pour le groupe, dans cette phase de basse conjoncture. Une nationalisation à un prix convenable, bien sûr. C’est-à-dire très supérieur à ce qu’un opérateur professionnel accepterait de débourser. Une nationalisation « temporaire » : quand les temps seront venus, Mittal proposera de racheter l’outil rénové au prix de la ferraille. Il redeviendra alors un sauveur. Merci par avance, Lakshmi.

La recette du jour

L’art du business

Vous hésitez à vous lancer dans les affaires faute d’identifier les futurs marchés porteurs. Cessez de gamberger en vain et revenez aux recettes éprouvées. Rares sont ceux qui s’enrichissent en produisant. La fortune se constitue grâce à l’art d’acheter pour rien un outil de travail et à le revendre trop cher dès que possible. Dans les deux cas, l’Etat est souvent la meilleure contrepartie possible.


Jean-Jacques Jugie