2012 : vers la fin d’un monde


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24 décembre 2012

Dans la continuité de l’exercice précédent, l’année qui s’achève a été marquée par la poursuite de politiques irréalistes. Consistant à prétendre amortir des dettes irrécouvrables, grâce à une croissance hypothétique. Laquelle est bridée par l’austérité générale. Le tout sur fond d’agitation sociale croissante et de tensions internationales menaçantes.

L’exercice qui s’achève aura offert un épisode supplémentaire à la phase chaotique que traverse le monde. Les incertitudes, les doutes et la confusion ont gagné du terrain au sein de toutes les populations de la planète ; les autorités en charge du destin des nations témoignent de leur désarroi, en adoptant des politiques bricolées autour de mesures contradictoires ; l’équilibre international est sans cesse menacé par la tentation, compréhensible, du repli sur soi, et par le regain de velléités guerrières justifiées par des arguments souvent cousus de fil blanc. Partout, l’ambition affichée est de rétablir les conditions d’avant la crise, donc de renouer avec les bienfaits de la croissance, celle qui autorise l’optimisme à intérêts composés. Certes, il semble que les milieux dirigeants aient été ébranlés dans leur conviction selon laquelle le système dominant serait apte à générer une production exponentielle de richesses jusqu’à la fin des temps – la fin n’a pas eu lieu le 21 décembre, au grand soulagement des mayanistes les plus pessimistes. Et à la satisfaction d’autres prophètes du calendrier, pour lesquels cette date marquerait le passage de l’humanité à un « état de conscience supérieur », censé dépasser le matérialisme triomphant. Voilà qui rejoint curieusement l’analyse de pas mal d’anthropologues, plus sensibles que les économistes à la nécessité, pour nos sociétés, de renoncer à la martingale de Ponzi qu’est leur mode de vie. Mais si les poncifs de l’économisme dominant commencent à être mis en question au sein des élites dirigeantes, ils ont quand même continué, en 2012, à inspirer les décisions politiques.

Dette : déni de réalité

L’année a encore été marquée par le dilemme lancinant des dettes souveraines, qui ont pris des proportions stratosphériques depuis que les Etats ont décidé d’endosser les sinistres de leur système financier. A l’exception notable de la Chine et de la Russie, aucun grand pays ne peut se prévaloir de respecter le ratio « maastrichtien » de la dette (moins de 60% du PIB), une norme raisonnable pour étalonner la solvabilité publique. En outre, la basse conjoncture fragilise les attentes budgétaires et vient contrarier la volonté de réduire les déficits d’exécution. En bref : ça va mal et ça ne s’arrange pas.

Si l’année s’est achevée sur une restructuration homéopathique de la dette grecque, et une promesse de solidarité de l’Eurozone avec Athènes, la stratégie commune n’a pas varié : petits ou grands, les pays sont supposés garantir la couverture de leurs emprunts par une austérité budgétaire rigoureuse. Nul n’ignore qu’une telle hypothèse est illusoire, et pas seulement pour la Grèce : le doute vaut pour bon nombre d’Etats européens, ainsi que pour les Etats-Unis ou le Japon. Pour preuve, ces deux derniers doivent avoir recours au dernier expédient disponible lorsque la source de crédit se tarit : la planche à billets. Déjà à Washington et bientôt à Tokyo, la Banque centrale souscrit directement aux bons du Trésor, grâce à de l’argent fraîchement créé pour l’occasion. Les marchés financiers continuent, en croisant les doigts, à considérer ces pratiques comme bénignes, alors qu’elles auraient, par le passé, sauvagement érodé le cours du dollar et du yen. De fait, tout le monde ayant beaucoup à perdre d’une telle perspective, la sphère financière met un mouchoir pudique sur ses appréhensions et profite des excès manifestes de création monétaire pour entretenir des cours boursiers extravagants. En somme, au fur et à mesure que le système financier se dégrade et que le risque souverain s’accroît, le baromètre boursier s’oriente vers le grand beau temps.

Croissance : l’Arlésienne

Déjà relevé l’année dernière, le paradoxe suivant est toujours présent : alors que les gouvernements disent promouvoir la croissance, ils réduisent leurs dépenses budgétaires et augmentent fortement les impôts. Dans le même temps, les établissements de crédit, eux-mêmes contraints au renforcement de leurs fonds propres et à la réduction de leurs risques, se montrent parcimonieux dans la distribution de crédit aux entreprises et aux particuliers. Ce double phénomène a évidemment un impact négatif sur l’activité, donc sur le taux d’emploi, donc sur la consommation. Le résultat 2012 est ainsi sans surprise dans l’UE : une nouvelle récession, appelée à se poursuivre sur l’année à venir. Avec des perspectives au mieux mollassonnes pour une durée indéterminée. Notre monde globalisé paie logiquement les conséquences de son modèle de développement : quelques locomotives se relayant pour tirer l’activité de la planète, principalement grâce à la consommation (à crédit). Si la ménagère devient moins « riche » ou plus endettée, le train ralentit et s’arrête. Faute pour les ménages ordinairement dépensiers (les Américains, en premier lieu) de pouvoir obtenir des salaires plus élevés, ou des subventions publiques, faute pour eux de vouloir (ou pouvoir) augmenter leurs emprunts, notre modèle de croissance, fondé sur une (hyper)consommation et sur le gaspillage systématique, aura de la peine à perdurer. On ne saurait le déplorer, à cause des multiples dommages collatéraux qu’il génère. Mais au vu de la vaine obstination à tenter de le relancer, et de la misère de la réflexion autour d’un « plan B », il est permis de nourrir quelques appréhensions quant à la durée et à la profondeur de la crise.

International : l’entropie

La rigueur prolongée a cette année favorisé l’agitation sociale, et fait craindre par endroits l’émergence de pulsions insurrectionnelles. Le climat politique interne s’en trouve un peu partout dramatisé. Jusqu’aux Etats-Unis, confrontés à une paupérisation croissante de la classe moyenne, où l’hostilité entre les deux principales factions s’est exacerbée. Au moment où ces lignes sont écrites, aucun accord raisonnable n’a encore été négocié au sujet de la « falaise fiscale » - le moyen de rendre présentable le budget fédéral, en réduisant les charges et en majorant les impôts. Il est en tout cas prévisible que les dépenses sociales seront laminées, ce qui laisse craindre, pour certains observateurs, la survenance de scénarios protestataires « à la grecque ».
Effervescence interne, mais aussi agitation internationale. Pour une large part imputable à l’initiative américaine : il semble que le Prix Nobel de la Paix soit aussi belliciste que son va-t-en-guerre de prédécesseur… Après les résultats contrastés du « printemps arabe », qui a principalement débouché sur un surcroît de confusion, la Syrie fait l’objet d’une tentative de déstabilisation orchestrée par les puissances occidentales - dont la France. Sur des motivations avouées moins défendables encore que celles avancées pour justifier les pressions constantes contre l’Iran. Invoquant à juste titre les règles élémentaires du droit international, Chine et Russie s’opposent fermement au renouvellement du scénario libyen. Si bien qu’une étincelle peut transformer le Moyen-Orient en théâtre de conflit mondial. D’autant plus que par Sénat et Douma interposés, Etats-Unis et Russie s’écharpent à coups de lois droits-de-l’hommistes – un thème que les élus yankees chérissent avec leur bonne foi coutumière -, au point de faire monter dangereusement la pression diplomatique.
L’Histoire, dit-on, ne repasse pas les plats. Acceptons-en l’augure. Mais la concomitance d’une grave crise économique, de l’anarchie financière, de l’affaiblissement des pratiques démocratiques et de l’explosion des tensions internationales, rappelle à de douloureux souvenirs du siècle dernier. Au point de souhaiter que les doux-dingues new age aient raison, et que se profile un nouveau monde débarrassé des obsessions de conquêtes et de razzias, autant de comportements barbares qui empoisonnent les temps présents.


Jean-Jacques Jugie