L’ironie et le couac


Blog


28 janvier 2013

Connaissez-vous Quintilien ? Bon, pas de panique, vous n’êtes pas le seul. Il semble que parmi les hautes sphères gouvernementales, qui réunissent pourtant le gratin de la culture française, personne ne bouquine plus le De institutione oratoria de Quintilien, le plus ancien manuel de rhétorique. Ce qui valut à Marcus Fabius Quintilianus, rhéteur talentueux et avocat retors (bien qu’innocent dans l’élargissement de Florence Cassez), de devenir le premier titulaire du portefeuille de l’Education nationale. Il mit en place la première école publique sous la houlette de Vespasien, celui-là même auquel on doit une formule célèbre : pecunia non olet (l’argent n’a pas d’odeur), qu’il aurait prononcée en instituant une taxe sur les pissotières. Selon quoi les préoccupations publiques n’ont pas beaucoup changé en deux mille ans d’histoire : à cette époque lointaine, il fallait déjà réformer un enseignement défaillant et instituer des impôts saugrenus pour éviter la déroute des finances.

Mais revenons à L’Institution oratoire, qui devrait être le livre de chevet de tout homme public conscient que son pouvoir relève essentiellement de l’habileté du discours. Et donc de la maîtrise des nombreuses figures de rhétorique dont dispose le tribun pour emballer son auditoire. Prenez par exemple l’ironie, consistant à affirmer le contraire de ce que l’on veut faire entendre. C’est une figure au maniement délicat : une petite erreur de dosage, et l’affirmation sera prise au premier degré. Un ministre qui dirait, par exemple : « La France est un Etat totalement en faillite », et qui confirmerait son allégation en énumérant tous les sacrifices présents et à venir, ce ministre serait-il suspect d’ironiser ? Que nenni : son propos serait perçu comme argent comptant, si l’on ose dire. Surtout si l’intéressé a la réputation d’être aussi facétieux qu’un potiron d’Halloween. En foi de quoi les services dudit ministre auront beaucoup de peine à convaincre 65 millions de pékins qu’il sont hermétiques à l’ironie. Une ironie tellement subtile qu’elle a même échappé à celui qui la revendique. Voilà ce qu’il en coûte aux rhétoriciens amateurs qui croient pouvoir négliger les prescriptions du genre sumbouleutique – celui de la harangue visant à recueillir l’adhésion du public : on veut faire de l’humour, et on fait un four.

La recette du jour

Humour politique

Vous ambitionnez depuis toujours de devenir humoriste mais vous êtes aussi spirituel qu’une porte de prison. Embrassez plutôt la carrière de ministre. Et ponctuez vos discours de rires préenregistrés. Sans quoi personne ne relèvera votre subtile ironie et les médias vous tomberont dessus à bras raccourcis.


Jean-Jacques Jugie