Morale fiscale et beluga


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14 février 2013

Dans un monde parfait, où les contribuables respecteraient scrupuleusement leurs douces obligations, il n’y aurait pas de déficit budgétaire. Car la fraude coûte environ 1.000 milliards d’euros aux Etats de l’Union. Pas étonnant que le thème de l’harmonisation fiscale affleure régulièrement, avant de retourner sagement sous le tapis : sur un tel sujet, les gouvernements n’ont jamais fait preuve d’une bonne foi manifeste. Mais l’enjeu est suffisant pour avoir incité le Conseil européen et la Commission à promouvoir des moyens de lutte efficaces contre la fraude et l’évasion fiscales. Avec des objectifs opérationnels bien précis dès cette année, notamment sur la passoire à taxes qu’est le système de la TVA intracommunautaire, et le fromage inépuisable que boulottent les grandes entreprises grâce à la «  planification fiscale agressive » - les chemins détournés qui permettent de traverser à couvert la jungle réglementaire. Au point que le G8, sous la nouvelle présidence du Premier ministre britannique, entend faire du sujet sa priorité. Bien que la City ait une réputation établie en matière de blanchisserie. Et notre ministre du Budget, celui qui-n’a-pas-de-compte-en-Suisse, continue de renforcer le dispositif antifraude, notamment par la prohibition de « montages légaux mais abusifs utilisés par certaines entreprises ». La morale reprend ses droits : il est maintenant interdit d’abuser de la légalité.

Evidemment, moraliser ne va pas sans quelques dommages collatéraux. En particulier, celui de réduire la liberté du pékin de régler ses achats en monnaie légale – les espèces. Le seuil du paiement en biffetons devrait être bientôt abaissé à 1.000 euros (contre le triple de ce montant actuellement). Faute d’être un moyen de lutte crédible contre le blanchiment, c’est une méthode efficace pour restreindre les finasseries comptables des commerçants. Et du pain bénit pour les banquiers, qui exècrent l’usage des billets. On voit bien que le ministre ne fait pas lui-même ses courses. Exemple : vous recevez un couple de vieux amis et vous décidez de les soigner : un saut chez Petrossian et vous avez tout de suite pour 2.000 euros de beluga (sauf en ce moment : rupture de stocks). En payant par carte, votre banquier va pouvoir éplucher votre menu. C’est terriblement indiscret. Vous faites un saut place Vendôme pour dégoter une babiole destinée à votre secrétaire – en récompense méritée de ses services haut-de-gamme. Que votre épouse tombe sur la facturette et c’est un drame garanti : l’abus de légalité nuit à la santé des couples. D’accord, monsieur le Ministre : ce n’est pas correct de blanchir l’argent. Mais ce n’est pas très convenable non plus de rendre transparents nos petits secrets.

La recette du jour

Menu de légalité

En honnête citoyen et contribuable scrupuleux, vous êtes très à cheval sur les questions de légalité. Engagez un bataillon d’experts en ingénierie fiscale. Ils vous expliqueront comment importer des esturgeons déguisés en tritons, afin d’offrir du caviar à vos invités sans vous dénoncer à votre banquier. Avec les économies de TVA, servez un vieux millésime de Puligny-Montrachet.


Jean-Jacques Jugie