Le patrimoine à nu


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15 avril 2013

Bon, c’est aujourd’hui qu’expire l’ultimatum. Oui, vous le savez bien : la déclaration de fortune. Quiconque a occupé, occupe ou occupera de hautes responsabilités publiques ; quiconque a côtoyé, de près ou de loin, les élites dirigeantes, leur famille, leurs amis, leurs majordomes ou leurs palefreniers ; en un mot, quiconque pouvant justifier d’une relation, même platonique, avec les sphères décisionnaires, doit mettre à nu son patrimoine sous les yeux du pékin. Oui, d’accord, c’est impudique. Mais les voies de la morale sont impénétrables. Autrefois, on repoussait le Diable en agitant une gousse d’ail ; aujourd’hui, les Femen combattent le bon Dieu à balcon découvert. On attend, avec une impatience peccamineuse, qu’une nouvelle cause leur fasse demain enlever le bas. En attendant, le voyeurisme patrimonial a pour objectif accessoire de documenter une enquête secrète de l’Insee, visant à lever le voile sur un débat aussi passionné que celui relatif au sexe des anges : faut-il être préalablement riche pour accéder aux responsabilités politiques, ou devient-on fortuné après avoir été élu ? Le mystère est entier.

Votre serviteur étant pressenti pour le portefeuille de la billetterie nationale, à la faveur du prochain remaniement ministériel, il est de son devoir de soumettre son patrimoine à l’IRM de la transparence. A ce jour, il lui faut donc avouer de larges réserves d’esprit critique, mais qui ne valent pas tripette sur le marché des temps présents ; une superbe vue sur la nature depuis la fenêtre de son bureau, mais qui pour l’instant n’est pas imposable au titre des signes extérieurs de richesse ; deux chats de gouttière, affectueux mais sans valeur intrinsèque – ils ont été tous deux recalés au concours de l’ENA ; plus quelques souvenirs d’opulence, mais qui sont désormais totalement amortis par la crise. Ce n’est pas bésef. On pardonnera au signataire de dissimuler un trésor : ses amis. Rares, mais très chers : à elle seule, leur valeur justifierait la détention d’un compte offshore. Que l’on n’avouera jamais, même sous la torture morale.

La recette du jour

Fortune en liquide

Pour satisfaire aux exigences de moralisation de la vie publique, vous mettez la dernière main à votre déclaration de patrimoine : vous découvrez être plus riche que vous ne le supposiez. Vous pouvez oublier de mentionner les cohortes de grands crus qui stationnent dans votre cave. Sous la réserve expresse de ne pas les boire en Suisse : vous pourriez être chocolat.


Jean-Jacques Jugie