Pigeons : retour au colombier


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30 avril 2013

Le Columba livia, autrement appelé pigeon biset, est un volatile qui se distingue par son sens remarquable de l’orientation. Mais contrairement à la pile Wonder, cette faculté s’use si l’on ne s’en sert pas. Supplanté par le facteur de la Poste dans le transport des missives, le pigeon dit voyageur a perdu son rôle de vecteur de l’information, pour ne conserver que ses fonctions d’accompagnateur idéal des petits pois. Telle est la loi implacable de l’économie de marché : quiconque perd sa compétitivité est promis à la casserole. A noter que l’espèce comporte un mouton noir : le pigeon sédentaire, un SDF urbain mais malpoli qui vit de mendicité et constelle les monuments de bren de coulon, comme le disait Rabelais et le disent toujours les Nordistes qui pratiquent le ch’ti. Enfin, une espèce est menacée : le Columbus palumbus, un ramier intrépide et aventureux, plus connu dans nos contrées sous le nom de jeune entrepreneur. Il s’agit d’une espèce fragile, très exposée aux maladies infantiles et à la plaie d’argent. Mais les survivants présentent une chair savoureuse et très protéinée dont raffolent les braconniers de Bercy. Lesquels ont récemment entrepris une battue de grande envergure, propre à provoquer la migration définitive du palumbus sous des latitudes plus clémentes.

Heureusement, le garde-chasse en chef de l’Elysée vient de mettre le holà à cette traque assassine. Les pigeons en cause, désormais déclarés espèce protégée, devraient ainsi pouvoir stationner sans risques dans leur colombier. Il serait même question de leur offrir un peu de bon grain sans ivraie, avant de les créditer de l’affection et de la considération dont ils bénéficient partout dans le monde, sauf chez nous. Car tel est le handicap majeur de notre pays : sa population est dépourvue du gène de l’esprit d’entreprise. Faute d’être innée, cette disposition essentielle à notre survie relèvera désormais de l’acquis : dès l’école primaire et jusqu’à leur bachot, les gamins seront soumis à des leçons intensives d’entreprenariat. Ouah ! Les cours de récré sont déjà un souk indescriptible ; on se demande bien ce qu’elles pourront devenir avec l’apprentissage obligatoire du business. Mais il faut bien que les objectifs de l’Education nationale épousent les priorités des temps contemporains. Autrefois, le cycle des humanités faisait une large place à Aristote, qui ne pensait pas grand bien des marchands ; demain, les têtes blondes seront nourries à la philosophie épicière de Félix Potin. Les pigeons vont tellement prospérer qu’il faudra réhabiliter les petits pois.

La recette du jour

Pragmatisme éducatif

Vous êtes sensibilisé à la vocation première de l’éducation : faire de vos mouflets de bons entrepreneurs. Confiez-leur une thune d’argent de poche avant qu’ils ne partent à l’école ; s’ils ne ramènent pas le double après la classe, infligez-leur une punition effroyable : apprendre à lire et à écrire, par exemple. Soyez tenace. Car s’ils échouent dans le business et demeurent analphabètes, ils n’auront qu’une porte de sortie : la politique.


Jean-Jacques Jugie