Souveraineté de cour de récré


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17 mai 2013

Tous les enseignants le savent depuis longtemps : il est très difficile de maintenir la concentration d’une classe pendant plus de cinquante minutes. Encore faut-il que le sujet intéresse l’auditoire et que le conférencier déploie un minimum de talents tribuniciens : l’habileté rhétorique qui stimule les neurones et le modulé de la voix qui excite l’émotion. Grâce à quoi l’orateur peut séduire son public, même s’il n’en sait pas plus que lui sur le thème abordé. Même s’il n’a rien à lui apprendre que les concierges ne sachent déjà. Faute de maîtriser l’art du discours, il est vain d’espérer maintenir l’attention de l’assistance pendant trois heures d’affilée. Quand bien même serait-elle disciplinée, respectueuse et très motivée. Le billettiste doit avouer, à sa grande honte, avoir cédé au roupillon pendant une bonne partie de l’intervention du Président. Heureusement pour lui que le délit d’offense au Chef de l’Etat vient d’être aboli.

Il y a en revanche une novation remarquable dans la lexis présidentielle, qui justifie à elle seule le passage à la VIème République, que d’aucuns appellent de leurs vœux. C’est le concept de souveraineté nationale. L’Etat gaullien en donnait une définition classique et rigoureuse, qu’il est inutile de rappeler ici. Aujourd’hui, les principaux attributs de la souveraineté d’antan ont tous été sacrifiés : la monnaie à l’indépendance de la Banque centrale européenne, le budget aux gnomes néolibéraux de la Commission de Bruxelles et la politique extérieure aux faucons allumés du Pentagone. Pourtant, dans l’énoncé du bilan de sa première année de pouvoir, le Président a cité en premier la « défense de la souveraineté ». Qu’il a illustrée par l’intervention au Mali : on ignorait que ce pays fût une province de notre Etat souverain. Il faut en déduire que l’expression de la souveraineté nationale est désormais celle d’une cour de récréation : le droit des grands costauds de castagner les petits à lunettes, sous l’œil désapprobateur des caïds, certes, mais sans que ces derniers ne s’interposent, tant qu’ils ont leur part du détroussage qui va s’ensuivre. Nous voici donc officiellement entrés dans une société à souveraineté limitée, que les Anciens appelaient féodalité. Voilà une offensive hardie. Mais pas sûr que ce soit un progrès.

La recette du jour

L’éducation malabar

Vos parents vous ont sensibilisé à l’importance de la connaissance pour la conduite de votre carrière. Ils vous ont inculqué les valeurs du droit et de la morale pour devenir un citoyen honorable. Eh bien, ils avaient tout faux. Vous auriez dû faire de la musculation dès votre plus jeune âge et apprendre à vous bagarrer. Car l’idéal de l’homme moderne se mesure à sa capacité de casser la figure à ses contemporains.


Jean-Jacques Jugie